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2 juillet 2007 1 02 /07 /juillet /2007 22:54

 

 

 

Eve de ses décombres : 
L’oratorio des adolescents perdus
par Caroline Tricotelle

 

 

 

visuel-devi.jpgD’une totale maîtrise, Eve de ses décombres, le dernier roman d’Ananda Devi, paru chez Gallimard en 2006 et récompensé à juste titre du prix Inter et des Cinq continents de la Francophonie, laisse surgir l’image d’un lieu retranché du progrès. « Troumaron, c’est une sorte d’entonnoir ; le dernier goulet où viennent se déverser les eaux usées de tout un pays ». « Nous sommes accolés à la montagne des Signaux », (page 13). Quartier déshérité de Port-Louis, sur l’île Maurice, Troumaron représente un espace tristement actuel, cerné par le chômage et la violence. Mais en même temps, il apparaît comme une métaphore douloureuse de l’existence saisie entre destin et survie. Au-delà du réel, l’insularité devient alors une façon de ressaisir le thème biblique de la Chute ; et le roman, le moyen poétique de recueillir avec plus de sensibilité des voix en prise avec la fatalité et l’exclusion.

Mais l’intensité du roman Eve de ses décombres tient surtout au passage à l’adolescence de chacun des personnages, à ce moment où Eve, Sad, Clélio et Savita accèdent à cette conscience trop aiguë d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. Elle tient aussi au choix narratif de l’auteure qui restitue leur point de vue afin de faire ressortir le contraste de leurs expériences alors qu’un événement dramatique les oriente définitivement.

En effet, dans une première partie, le roman dévoile la multiplicité ambivalente des personnages pour les projeter dans une seconde partie sur un fond d’enquête policière. Après un prélude énigmatique d’Eve, Sad fait l’épreuve de son impuissance comme celle des mots qu’il aime et qu’il dédit à Eve. Il regarde Eve s’abîmer sans parvenir à la toucher et sans savoir comment la protéger. Clélio, lui, noie ce qui lui reste d’innocence dans une violence sans foi ni loi et s’enfonce dans la solitude. Seule Savita est entrée dans l’existence d’Eve. Son amitié permet de l’extraire du commerce de son corps qu’Eve traduit comme seul refus possible de son appartenance à Troumaron : « J’avais une monnaie d’échange : moi. […] Tout ce que je leur donnais, moi, c’était l’ombre d’un corps. […] J’ai dix-sept-ans et je m’en fous. J’achète mon avenir », page 20-21. Mais la mort traverse l’univers des uns et des autres et les fait basculer dans cet état limite où le dénuement de la condition humaine trouve son expression. Au fur et à mesure des monologues intérieurs, principalement de Sad et Eve, un chant s’installe dans ce récit où la perte des illusions se rapproche d’une perte de soi, jusqu’à le transformer en oratorio pour l’être aimé.


Six mots ; un pour chaque paume, un pour chaque pied, un pour la tête et un pour le cœur. Je dégouline rouge.

Pour la première fois, elle m’entoure de ses bras. Sa bouche est désolée, mais inflexible. Malgré mon désarroi, je mesure le centimètre qui nous sépare.

Sinon cela n’aura servi à rien, dit-elle[1].


Dans ce roman, c’est par touches délicates qu’on avance. Se dévoilent alors des zones qui interrogent l’espoir, quand l’innocence ressemble au paradis perdu.

 

 

[1] Ananda Devi, Eve de ses décombres, Paris, Gallimard, 2006, p. 155.

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2 juillet 2007 1 02 /07 /juillet /2007 08:14

9782752601704-0-2005251354-2-.jpgEntendez-vous dans les montagnes

de Maïssa Bey

 

 

Maïssa Bey est le pseudonyme de Samia Benameur, une auteure algérienne d’expression française vivant dans l’Ouest algérien et également présidente d’une association culturelle « Paroles et écriture ».

Parmi ses nombreux romans, Entendez-vous dans les montagnes occupe une place très particulière car il se présente comme un témoignage que l’auteure a longtemps gardé enfoui en elle : « Ce récit que j’ai eu tant de mal à écrire et qui est là enfin ». Cette histoire cachée, refoulée, entourée de silence c’est celle de son père, un instituteur mort sous la torture pendant la révolution algérienne et dont Maïssa Bey ne garde que très peu de souvenirs : une photographie en noir et blanc datant de l’été 1955 qui ouvre le livre ainsi qu’une lettre d’affectation à Boghari et une carte postale qui le referment.

Le récit, construit comme une pièce de théâtre, dans un lieu clos, met en scène la rencontre de trois destins dans un train qui roule vers la cité du Vieux Port. L’une des protagonistes est une algérienne réfugiée en France afin d’échapper à la guerre civile et qui ne cesse de penser à son père mort sous la torture des militaires français quarante ans auparavant parce qu’il était engagé pour l’Indépendance. Face à elle voyage un médecin retraité qui a fait son service militaire en Algérie, dans le village et l’année même où le père de la narratrice est mort. Enfin, leur voisine est une jeune fille, petite-fille de Pieds-Noirs, qui aimerait bien comprendre ce douloureux passé dont personne ne veut parler.

Cet étrange voyage se transforme alors peu à peu en étrange partage et les souvenirs refoulés apparaissent en filigrane :

 

C’était comme si on avait ouvert des vannes pour laisser couler la boue, toute la fange d’un passé qui s’avère soudain très proche et encore sensible. Comme si en passant le doigt ou en palpant une cicatrice ancienne dont les bords s’étaient refermés, croyait-on, on sentait un léger suintement, qui se transforme peu à peu en une purulence qui finit par s’écouler de plus en plus abondamment, sans qu’on puisse l’arrêter.[1]

 

Mais si la tension et l’émotion sont constantes dans ce livre bref, concentré à l’extrême, aucun sentiment de haine ou de vengeance ne suinte. Les fils de la mémoire permettent seulement à l’auteure de faire revivre son père et de se confronter à ses démons :

 

Elle se dit que rien ne ressemble à ses rêves d’enfant, que les bourreaux ont des visages d’hommes, elle en est sûre maintenant, ils ont des mains d’homme, parfois même des réactions d’homme et rien ne permet de les distinguer des autres. Et cette idée la terrifie un peu plus.[2]

 

            Un livre d’une grande beauté qui demande à ce que l’on entende toujours dans nos âmes le bruit des souvenirs. 

                                                                                         Jessica FALOT

 

[1] Maïssa Bey, Entendez-vous dans les montagnes, Editions de l’Aube, coll. Regards croisés, 2002, p. 43.

[2] Ibid, p. 70.

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2 juillet 2007 1 02 /07 /juillet /2007 08:10


511M87EBE4L.-AA240--1-.jpgMariama Bâ, Une si longue lettre

D'ici et d’ailleurs

Par Virginie Brinker 


           

           
Dans ce roman paru en 1979, l’écrivain sénégalaise Mariama Bâ écrit à la première personne la lettre que Ramatoulaye, qui vient de perdre son mari Modou Fall, envoie à son amie d’enfance Aïssatou. Dans l’intimité de cette confession, la narratrice nous plonge dans une atmosphère douce-amère, au cœur de ce sentiment étrange situé entre... Pour lire la suite de l'article sur notre nouveau blog, cliquer ici

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1 juillet 2007 7 01 /07 /juillet /2007 23:28

L’art de conter la politique

 

 

Begag.jpgA la croisée du conte et de l’autobiographie, Un mouton dans la baignoire est un succulent mélange de réflexions pertinentes et sarcastiques sur le disfonctionnement de l’appareil politique français à partir de l’expérience singulière de son auteur, Azouz Begag, romancier et sociologue projeté du jour au lendemain au rang de Ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances. Ce livre, vierge de chapitre défini, ressemble en fait à un carnet de bord dans lequel l’écrivain relate, avec discernement et par le biais d’une subtile touche d’ironie, les épreuves traversées au cours de ses deux années passées au sein du gouvernement.

Azouz Begag nous apprend tout d’abord la solitude qui entoure l’homme politique en fonction, via la peinture de sa propre condition de serviteur étatique à qui le pouvoir en place confia, un certain 2 juin 2005, un ministère fantôme incapable d’agir car dénué de véritable structure et de budget. Le lecteur découvre alors, page après page, l’extrême dureté de la vie interministérielle. En effet, individualisme, trahison, règlement de compte, manipulation médiatique semblent être les maîtres mots de la routine politicienne que nous décrit l’ancien Ministre redevenu kateb. Chaque fragment de son cahier nous transporte du côté cour au côté jardin de ce théâtre républicain en constante mouvance, tout en nous révélant progressivement le masque janusien de cruauté des acteurs en scène. Begag nous dévoile ainsi les multiples monstruosités des personae gouvernementales, anomalies bafouant les valeurs constitutionnelles et allant conséquemment à l’encontre de l’intérêt général au bénéfice du particulier. Il nous confie par exemple les humiliations et insultes d’ordre racial, pour ne pas dire raciste, dont il a été victime au profit notamment d’un autre sujet du monde politique aujourd’hui souverain : interpellations dégradantes ressurgies d’un temps colonial pourtant révolu, mise à l’écart systématique lors des rassemblements politiques, spoliation du travail réalisé, et cetera. C’est pourquoi l’écrivain définit l’univers obscur de la sphère publique telle une « cage[1] » à l’intérieur de laquelle s’entredévorent des fauves affamés de pouvoir, et non de devoir. C’est aussi la raison pour laquelle il nous inculque d’une façon si poétique l’importance de la vénération du lien filial, ombilic originel salutaire, seul capable de protéger l’individu contre toute forme d’aliénation. Lors d’un entretien accordé à la journaliste Anne Pitteloup, Begag déclare d’ailleurs à cet égard : « mon père m’a appris à nourrir cette valeur essentielle qu’est la dignité, et le respect de soi[2] ».

A l’écoute de cette figure paternelle et de ses chers ancêtres tutélaires, l’auteur transcende donc son texte en l’enrichissant d’une dimension esthétique fondée sur un langage métaphorique d’une extrême sensibilité, comme si l’auteur n’avait de cesse de revenir à ses racines, à son royaume d’enfance. Ce livre que Begag dédie d’une manière extrêmement émouvante à son frère disparu et « à la France du respect et de la tolérance[3] » dépasse ainsi le carcan du simple pamphlet politique. En dénonçant les dérives quasi barbares de la machine républicaine et, a fortiori, de cette société du rejet de l’Autre qu’elle engendre, l’écrivain dévoile la véritable nature de l’engagement artistique, à savoir celui qui suscite la prise de conscience citoyenne face à une doctrine nationaliste, celui-là même qui met en lumière un monde infini de possibles que quelques hauts placés refusent de voir. De ce fait, Begag se définit tel « un ouvreur de portes, d’horizons, de mentalités » grâce à la complémentarité de ses multiples facettes bicéphales que trop souvent l’on oppose. A la fois homme de lettres et politique, Français de naissance et descendant d’une famille algérienne, l’écrivain estompe les clivages arbitraires séparant ces catégories disciplinaires ou sociales pour promouvoir un modèle de pensée mettant en exergue l’interculturalité au sens large. En somme, ce livre testimonial constitue une trace essentielle car unique dans l’histoire de la politique française que le lecteur-électeur devra interpréter pour espérer retrouver la piste qui le guidera au-delà du désert socio-politique hexagonal.

 

Sidi Begag, choukrane !

 

 

 

                                                                                                                        Marine PIRIOU 


[1] Azouz BEGAG, Un mouton dans la baignoire, Ed. Fayard, Paris, 2007, p.54.

[2] Anne PITTELOUP, « Ecrire ne suffit pas », entretien publié dans Le Mag rendez-vous culturel du Courrier, 09 juin 2007.

[3] Azouz BEGAG, op. cit., p. 7.

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11 mars 2007 7 11 /03 /mars /2007 15:38

 Le journaliste Didier Contant et les « talibans » de Paris

 

 

 

 

« Tibhirine ». En tamazight, cela veut dire « les jardins ». Ces jardins-là sont jonchés de cadavres. Tibhirine, région proche de Médéa, dans l’est algérien, est devenue tristement célèbre après l’enlèvement et la décapitation, en 1996, des sept moines trappistes français qui s’y trouvaient. En 2004, Didier Contant, ancien rédacteur en chef de l’agence Gamma devenu journaliste indépendant, subit une chute mortelle dans l’immeuble d’une de ses amies. Il avait 43 ans. La presse algérienne le nommera alors « Le Huitième mort de Tibhirine ». C’est cette thèse que sa compagne, la sud-africaine Rina Sherman, soutient dans son livre[1] qui est une véritable descente dans les « maquis » de Paris. Elle dénonce précisément le « corporatisme » des journalistes, sans ambages.

« Ce sont des talibans ». L’enlèvement des sept moines, dont on ne retrouvera que les têtes, est d’abord imputé aux éléments des Groupes islamistes armés (GIA). Bientôt la thèse selon laquelle les terroristes islamistes étaient commandés par les services secrets algériens fait son apparition en France. Ce qui ajoute de l’eau au moulin des défenseurs du « qui tue qui ? ». L’accusation est soutenue par des journalistes français, mis sur la voie et rassurés par un ancien adjudant des services secrets algériens, le douteux Abdelhak Tigha. Mais avant de rendre publics les résultats de leurs recherches, Didier Contant mène son enquête en Algérie. D’après les éléments recueillis sur place, se fiant particulièrement à un Algérien enlevé en même temps que les moines et qui a réussi à prendre la fuite, les autorités algériennes ne seraient pas complices de l’enlèvement. Les islamistes auraient donc agi de leur propre chef, ce qui fragilise les accusations de Abdelhak Tigha. Selon Rina Sherman, c’est là la cause de « [l’]étrange suicide[2] » de Didier Contant. L’ethnologue sud-africaine reproche à des journalistes de Canal + d’avoir discrédité son compagnon dans son milieu professionnel en l’accusant de travailler pour les « barbouzes », en l’occurrence pour les services secrets algériens. Ce faisant, Contant aurait subi une grande pression, d’autant plus que Le Figaro Magazine et l’agence Capa, pour lesquels il réalisait ses reportages, ont été informés de ces supposés liens. Ses articles sont refusés partout. Par la suite, le « journaliste a le sentiment d'être "épié", "observé", "filé". "Quand je l'ai vu la semaine dernière, Didier ne paraissait pas déprimé, observe Serge Faubert [journaliste à Gamma]. Il soulignait juste cette impression d'être surveillé. Pour la première fois, je lui voyais ce sentiment de bête traquée », rapporte le quotidien France Soir (17 février 2004). Et la presse algérienne de conclure : « Le journaliste français Didier Contant poussé au suicide » (El Watan, 19 février 2004).

« Harcèlement ». Pourtant, l’ancien journaliste aurait essayé de prouver sa bonne foi, toujours sans succès. Il écrit à une amie algérienne sur le compte de ses ennemis : « Ce sont des talibans du type : Qui n’est pas avec nous est contre nous ». Rina Sherman ne se contente pas de rapporter les dires des journalistes français ou algériens et de Didier Contant. Pour plus de persuasion, elle a mené une contre-enquête. Dans Le Huitième mort de Tibhirine, elle relève les contradictions des investigations policières. Pour preuve, si l’on se fie à elle, le récit de l’ancienne amie chez qui le « suicide » s’est produit ne concorde pas avec les récits des passants et des voisins. D’autres éléments sont portés à la connaissance du lecteur que nous ne pouvons pas résumer ici.

À la lecture de cet ouvrage, nous ne pouvons prendre partie et considérer la mort de Didier Contant comme un suicide « provoqué par un harcèlement », comme l’écrit Jean-François Kahn, ou un meurtre. Il nous est, tout de même, possible d’affirmer avec Antoine Sfeir, préfacier du livre, que la disparition de ce journaliste n’a pas suscité l’intérêt qu’elle méritait car « on ne peut avoir que des doutes sur cette mort fortuite qui arrangeait tout le monde en définitive ». Le Huitième mort de Tibhirine est un récit tragique qui ne soulève que des interrogations pour le moins légitimes. C’est une véritable enquête dans les territoires ténébreux du journalisme où les « menées des uns et des autres créent des maquis dans les plus beaux couloirs de la ville ».

                                                                                                                            Ali Chibani


[1] Le Huitième mort de Tibhirine, Paris, éd. Tatamis, 2007, 191 pages, 19,90€.

[2] Ainsi titrait le magazine Marianne son article sur la mort du journaliste, édition du 8 au 14 mars 2004. Jean-François Kahn sera poursuivi en justice par le journaliste de Canal +, Jean-Baptiste Rivoire, pour diffamation et sera acquitté en appel.

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1 mars 2007 4 01 /03 /mars /2007 11:05

 

 

Des soldats français racontent leur guerre d’Algérie

 

 

« Si quelqu’un vous demande pourquoi nous sommes morts, dites-lui que c’est parce que nos pères nous ont menti ». Cette épitaphe que Kipling Rudyart a fait graver sur la tombe de son fils, Claude Grandjacques aurait aimé la dédier à son frère Alain mort pendant la guerre d’Algérie. Les raisons de ce vœu, Claude et ses compagnons de guerre s’évertuent à les expliquer dans un ouvrage collectif.

Des Miages aux Djebels[1] prend valeur de testament. Bernard, Claude, Alain et André sont « appelés à porter les armes sur une terre de combat sous des couleurs différentes : les Rappelés, la Légion, les Chasseurs alpins ou les SAS (Sections Administratives Spécialisées) au service de la population ». Ils racontent leur guerre d’Algérie, avec, comme point de départ et d’arrivée, les Dômes de Miage, dans les Alpes, et comme lieu central, les montagnes de Kabylie. Le récit historique, allant de 1956 à 1962, est coloré d’anecdotes personnelles, de « conversations banales », ainsi que d’évocations historiques par année. On y trouve également des lettres, qui font le témoignage posthume d’Alain, et des photographies étayant les différents témoignages. Les auteurs du livre se sont jetés dans leur mémoire pour revivre pleinement cette période tragique dans l’histoire de l’Algérie et de la France, « ce drame de famille qui n’aurait jamais dû exister ». S’en dégage un sentiment d’amertume à l’égard des dirigeants politiques. Alors que les autorités de la métropole poussent les soldats vers la mort, bien que la cause de l’Algérie française soit perdue depuis 1958, les futurs dirigeants de l’Algérie indépendante « étaient au chaud, de l’autre côté des frontières, à attendre le bon moment pour s’emparer, en Algérie, du pouvoir que va leur abandonner la France ».

Ce qui est frappant dans ces mémoires, c’est de voir que, 50 ans après cette guerre, les blessures sont toujours vives. Il faut dire que cet ouvrage est une cure psychanalytique pour les anciens soldats qui en sont les auteurs. C’est la première fois qu’ils acceptent de s’exprimer sur leur passé militaire. Ils ont pour hantise l’injustice des historiens et des politiciens accusés d’héroïser les combattants algériens de l’Armée de libération nationale (ALN) et de déverser leur mépris sur l’ensemble des soldats français. C’est pourquoi Claude insiste sur ses actions en tant que responsable d’une SAS, située à Bouzeguene. Il brave les consignes de ses supérieurs dans le seul objectif d’améliorer le sort de la population. Son frère, Alain, mettait fin à sa carrière militaire pour embrasser les carrières d’enseignant et de guide de  montagne. Il a été tué quelques jours avant « la quille » lors d’un accrochage avec des combattants algériens. Les narrateurs évoquent aussi comment certains « rebelles » du pays colonisé étaient des sanguinaires. Que ce soit pendant ou après la guerre, des Algériens ont été massacrés par d’autres Algériens. Et de conclure : « Dans notre guerre, ce sont surtout les soldats des deux camps qui ont été sincères : ils n’ont pas triché. Ils ont obéi et ont fini par croire qu’ils combattaient pour une cause juste. Souvent, ils sont morts d’avoir cru à un rêve impossible, devenu cauchemar, celui de la fraternité ». Et pour cause, « Les uns se battaient pour une Algérie qu’il fallait garder avec la France », certains de protéger les populations algériennes des « terroristes », pendant que « les autres [combattaient] pour une vraie démocratie et l’indépendance » afin de vivre en paix avec ceux qu’on allait appeler « les pieds noirs ». « Ils ont tous été trahis ».

Des Miages aux Djebels concentre les histoires d’hommes qui voulaient percer un passage à la lumière dans les ténèbres de l’Histoire. En cela, il est porteur d’espoir. D’ailleurs, à l’origine de l’ouvrage, non pas la haine, mais l’attachement que voue Claude à la Kabylie où il est retourné en 2004. Le regard de la population rencontrée « est celui de l’amitié sincère, débarrassée de tout préjugé ». D’amitié en amitié, comme le prouve cette photo où Hocine, un ancien de l’ALN, pose aux côtés de Claude, les anciens soldats ont voulu que les fonds récoltés lors de la vente de leur livre soient intégralement reversés à « des œuvres humanitaires ou prenant en charge les handicapés » en Kabylie. « Avec le secret espoir que cet ouvrage, apporte une pierre solide à l’édifice de la mémoire concernant cette époque douloureuse et permette aux jeunes générations de l’appréhender avec un autre regard ».

Des Miages aux Djebels est un livre atypique. Il réussit à faire de la tragédie un espace fertile à l’amour et au rêve, à travers des récits cruels et exaltants.

 

 

 

Ali Chibani

 

 

 

 


[1] Collectif, Des Miages aux Djebels. Notre guerre d’Algérie, « Alain, André, Bernard et Claude 1956-1962 », St Gervais les Bains, éd. Mémoire et regards, p. 336. [Commander le livre miages-djebels@miages-djebels.org]

 

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15 février 2007 4 15 /02 /février /2007 15:00

L’esclave vieil homme et le molosse,

de Patrick Chamoiseau

ou le récit de la fuite vers une nouvelle existence

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si nous étions marqués en tant que lecteurs par la longueur « biblique » des textes de Patrick Chamoiseau, L’esclave vieil homme et le molosse, publié en 1997 chez Gallimard nous permet d’apprécier son style, dans une modalité plus brève. L’histoire de cet esclave qui décide, depuis une vie de soumission, de fuir l’habitation et de marronner dans les bois de Martinique, est un concentré des formes du discours chères à Chamoiseau. En effet, les marques d’oralité qui caractérisent la littérature antillaise de ces dernières années sont subtilement combinées au goût pour l’explicitation d’une architecture du texte. Ainsi, l’auteur construit son récit en sept mouvements : Matière, Vivant, Eaux, Lunaire, Solaire, La Pierre, Les os. Cette structure renforce le mouvement, déjà présent dans Texaco[1], du ... Pour lire la suite de l'article sur notre nouveau blog, cliquer ici

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1 février 2007 4 01 /02 /février /2007 15:08


« On assassine la littérature »
Par Ali Chibani






Il est un homme qui porte en lui la crise, la rupture de l’histoire des idées d’avec l’histoire de la pensée. Dans Nous et les autres, « La réflexion française sur la diversité humaine »[1], Tzvetan Todorov se disait choqué « d’observer ce divorce complet entre vivre et dire » chez les écrivains et critiques français, et marquait son aversion pour ... Pour lire la suite de l'aricle sur notre nouveau blog, cliquer ici

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1 janvier 2007 1 01 /01 /janvier /2007 12:30



Un triple coup de cœur :

Les hirondelles de Kaboul

L’attentat

Les sirènes de Bagdad  

                                                 de Yasmina Khadra

 

C’est en humaniste en quête de vérité que Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohamed Moulessehoul, ancien militaire algérien reconverti en écrivain de langue française, s’est lancé dans cette trilogie consacrée au dialogue de sourds opposant l’Orient et l’Occident. Trois romans à travers lesquels il parcourt toutes les voies de l’enfer auxquelles mènent l’intolérance, le fanatisme et la haine. Trois romans qui lui permettent d’aborder également les sujets universels de l’identité, du poids des rêves et de la tentation de la facilité.

Le premier roman, Les hirondelles de Kaboul, paru en 2002 aux éditions Julliard, raconte la vie de deux couples habitant la ville pendant le règne des talibans. D’un côté il y a Atiq, qui fait partie de la milice des talibans, espérant que leur vision de la religion peut améliorer le sort des afghans et son épouse, Mussarat, qui est infirmière. De l’autre côté, on découvre Mohsen et sa femme, Zunaira, deux universitaires qui ont tout perdu lorsque les talibans ont pris le pouvoir.

Ce récit, cruel et lucide, raconte leur désespoir, la perte de leurs illusions, la difficulté pour les deux femmes à vivre dans des conditions où on ne leur reconnaît aucun droit. Il aborde tous les thèmes de l’oppression : la banalité du mal, l’hystérie des foules, la puissance du sacrifice, l’ombre de la mort et surtout le règne de l’absurde. Sur ce dernier point, le rapprochement entre l’auteur et Albert Camus est explicite.

Mais l’histoire n’est pas totalement noire car bien que Kaboul soit devenue « l’antichambre de l’au-delà. Une antichambre obscure où les repères sont falsifiés ; un calvaire pudibond ; une insoutenable latence observée dans la plus stricte intimité » (p. 12), l’espoir s’entête grâce à l’amour qu’éprouvent les personnages.

Dans L’attentat, publié en 2005 chez le même éditeur, Yasmina Khadra entraîne le lecteur au cœur du conflit israélo-palestinien à travers deux personnages centraux, à savoir Amine, chirurgien israélien, d’origine palestinienne qui a toujours refusé de prendre parti dans la lutte qui oppose son peuple d’origine et son peuple d’adoption et sa femme Sihem qu’il adore. Un jour, Tel Aviv est secouée par un attentat commis dans un restaurant par un kamikaze, faisant ainsi de très nombreuses victimes. Après avoir opéré toute la journée les blessés, Amine rentre chez lui et espère trouver du réconfort auprès de son épouse. Mais un coup de fil lui apprend qu’elle est morte sur les lieux de l’attentat et qu’elle est soupçonnée d’être l’auteur de la tuerie. Refusant d’y croire, Amine se lance dans une quête où il se verra contraint d’écouter la plus dure des vérités.

Une fois encore, l’auteur confirme son art magistral de se saisir d’un sujet brûlant et de le mettre en scène jusque dans ses plus insupportables contradictions. C’est sans doute pour cette raison que le livre a connu un énorme succès auprès du public (prix des libraires 2006, prix tropiques 2006 et actuellement en cours d’adaptation cinématographique aux Etats-Unis) mais qu’il a également reçu des réactions hostiles de la part de certains cercles juifs sionistes et arabes.

Enfin, Les sirènes de Bagdad (2006, même éditeur) raconte le mécanisme qui transforme un jeune bédouin irakien plutôt timoré en une machine de guerre. Celui-ci se voit tiré d’une enfance heureuse et pacifiste lors de l’intervention brutale des GI dans son village, durant laquelle son père est humilié. Il décide alors de fuir et de se rendre à Bagdad :

« Je sus que plus rien ne serait comme avant, que, tôt ou tard, quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne, j’étais condamné à laver l’affront dans le sang. (…) J’étais un bédouin et aucun bédouin ne peut composer avec une offense sans que le sang soit versé.»

Il se retrouve dans une ville déchirée par la guerre civile. Sans ressources, sans repères, miné par la honte, il devient une proie rêvée pour les islamistes radicaux auxquels il propose de devenir kamikaze.

Ce récit est une brillante description de la chute vers le désespoir, de la fragilisation d’un être privé de sa fierté et de la tentation de se perdre, d’anesthésier la douleur dans l’anéantissement de l’autre et de soi.

Ce voyage initiatique au cœur du terrorisme est scandé dans un style guerrier, haletant et viril mais également métaphorique et lyrique. C’est d’ailleurs ce qui impressionne chez Yasmina Khadra, sa faculté à allier le dépouillement stylistique au lyrisme poétique, sa manière de faire naître des images insoutenables et pourtant belles dans leur atrocité afin de montrer toute leur nuance.

A travers cette trilogie, l’auteur s’est brillamment assigné la tâche de sensibiliser et de faire réfléchir le lecteur sur les conflits armés actuels et notamment le lectorat occidental. Selon lui, projeter ce dernier dans l’Afghanistan des talibans, le conflit israélo-palestinien ou l’Irak d’aujourd’hui permet de lui donner un accès plus direct à la mentalité orientale. Au-delà de cette connaissance de l’histoire, nous retiendrons de ce triptyque romanesque une réflexion subtile et juste sur la fragilité de notre humanité.

 

 

 

                                                                                             Jessica Falot

 

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