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6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 20:00

Quelques mots sur une disparition impossible

Par Victoria Famin

 

 

Édouard Glissant, le grand poète martiniquais, le philosophe du Tout-monde, le guerrier de l’imaginaire s’est éteint ce jeudi 3 février 2011, laissant une tristesse indicible dans le cœur de ceux qui avaient pénétré son monde. Pourtant son décès reste impensable, sa disparition, impossible.

 

Disparition impossible car l’engagement du poète le fit se fondre dans une œuvre immense. Penseur de la Caraïbe, penseur du monde, penseur du Tout-Monde, Édouard Glissant eut le courage de réfléchir sur les mouvements complexes qui déterminent l’existence culturelle des hommes, en assumant sa condition de poète. Sa voix poétique ne pourra jamais s’éteindre, elle restera à jamais dans l’esprit des lecteurs, des auditeurs de cette parole du vivant.

 

Disparition impossible parce qu’Édouard Glissant vit dans ses poèmes, ses romans, ses poétiques, son esthétique, sa philosophie… Son œuvre vaste et généreuse restera pour toujours un foyer ouvert aux lecteurs inquiets par les changements qui ont bouleversé le monde et qui ont passionné le poète du Lamentin. La pensée de la Relation, intimement liée à la personnalité de son auteur, est un mouvement qui ne cessera de convoquer les lecteurs fidèles et ceux à venir, pour continuer à faire vivre le tremblement libérateur du monde.

 

Disparition impossible du poète, fort de ses convictions, qui vit dans le combat des imaginaires une issue envisageable aux conflits qui secouent les sociétés de la planète. Geste d’incommensurable  générosité que celui de consacrer sa vie à l’éclaircissement des troubles à l’origine des guerres cruelles qui ont meurtri les communautés du monde. Édouard Glissant avait conscience de travailler pour les générations à venir, pour qu’elles puissent concevoir, dans un futur prochain, une pleine et libre existence dans le mouvement de la Relation. 

 

Édouard Glissant réussit à installer sa poétique du Divers dans la conscience de ses lecteurs, qui, inexorablement, auront le bonheur de la transmettre à leur tour. Rentrer dans le monde glissantien est une aventure qui engage pour la vie, qui touche les imaginaires, qui laisse une trace indélébile et qui entraîne dans un mouvement vivifiant. La profonde douleur de sa mort se confond ainsi avec le besoin et le désir de faire vivre sa mémoire, pour lui rendre avec gratitude tout ce qu’il apporta à l’humanité, tout au long de sa vie. La disparition d’Édouard Glissant reste impossible parce que sa voix poétique a trouvé, définitivement, une place privilégiée dans le cœur de ceux qui ont eu le plaisir d’être touchés par sa littérature. 

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4 février 2011 5 04 /02 /février /2011 18:58

Un beau risque à courir : lire Édouard Glissant

Par Anne Douaire-Banny *

 

 

 

Lire Édouard Glissant, c’est se risquer dans une nouvelle contrée du monde, habitée des tableaux de Lam et de Matta, d’images, de sons, de liaisons, de mots, de cris ; une contrée têtue et complexe, creusée de souterrains invisibles dont l’on sent la présence, sous un ciel toujours changeant et toujours questionnant ; c’est entendre résonner Odono ! et voir planer l’oiseau Cohé ; tomber-se relever sans fin avec Dlan-Médellus-Silacier et aimer la terre, l’humus, la trace et les roches avec Mycéa ; c’est courir sans relâche le plus beau risque, celui du monde ouvert et relié, celui de la rencontre imprévisible, déconcertante et impérieuse dans son opacité, désirable et féconde dans son opacité.

Lire Édouard Glissant, c’est avoir l’oreille habitée des sons de Bernard Lubat, la peau troublée des mots de Chamoiseau, l’esprit séduit par Deleuze et par Guattari, c’est respirer à grandes goulées l’air de New York et de Paris, des pentes vertes du Diamant et des statues qui meurent aussi.

Lire Édouard Glissant, c’est comprendre qu’un lieu peut dire le monde, sentir que dans le détail tétu se niche l’infini du réel, poser comme une évidence que d’un gouffre peut sourdre la certitude de la solidarité et des compréhensions, vouloir que les murs tombent et décider qu’ils sont tombés.

Lire Édouard Glissant, c’est relire Faulkner, plonger dans Kateb Yacine, prendre le train avec Bouvier et Cendrars, faire du feu avec Artaud et arpenter, à petits pas de chenille, les flancs de la Pelée avec Aimé Césaire ; c’est lire comme un enfant, pour la première fois, et ouvrir les yeux sur l’autre côté du monde, c’est lire un tout jeune poète, toujours, et le trouver encore insu ; c’est lire par-dessus l’épaule d’un Batouto et y découvrir des mots qui n’existaient pourtant pas ; c’est se lever et occuper les rues, épaule contre épaule, en autant de marches qu’il y aura d’interdictions ; c’est choisir de parler et d’entendre même l’inconcevable, de dire et de redire l’inaliénable certitude que le temps est éperdu et la beauté intraitable, et pour cela, d’être aussi, à sa façon, un point de la Relation.

 

* Maître de Conférences à l'université Paris-Sorbonne.

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