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13 avril 2012 5 13 /04 /avril /2012 02:04

Chronique

 

Voici le manifeste rédigé par Christine Delpy, chercheuse au CNRS, qui revient sur la polémique engagée par la journaliste et essayiste Caroline Fournest à l'encontre du collectif Les Indivisibles et de sa co-fondatrice, Rokhaya Diallo. Récemment décorée d'un Y'a bon awards, prix subversif qui récompense des "propos, dispositifs, idées, visuels et lois racistes de tous horizons", Caroline Fourest vient de porter plainte contre le collectif Les Indivisibles pour injure et diffamation...

 

 Célia SADAI

 

 

 

 

Découvrez la suite ainsi que de nombreux autres articles sur le nouveau site de La Plume Francophone, en cliquant ICI

 

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7 septembre 2011 3 07 /09 /septembre /2011 14:27

Fin de culture et grève de la faim - En soutien au Lavoir Moderne Parisien

par Célia SADAI

 

 

J'ai découvert le Lavoir Moderne Parisien il y a plus de dix ans. A cette époque, le "XVIIIème" prenait une résonance forcément inquiétante pour toute jeune parisienne respectable. Le quartier de Château-Rouge abritait alors en ses entrailles (les rues Myrrha, de la Goutte d'Or et Dejean) un bon nombre de dealers et autres parias qui tentaient de conjurer les conséquences d'une politique d'immigration déjà en échec. 

 

Je me souviens d'un jour de grippe de 2003. J'étais allée voir L'Entre-deux rêves de Pitagaba de Kossi Efoui, dans une mise en scène de Françoise Lepoix. Auparavant, j'avais avalé un pot de miel entier par crainte que ma toux ne dérangeât la représentation. Après la pièce, j'ai marché à pas pressés vers la station de métro, repoussant au loin les menaces de l'obscurité. Variations sur un théâtre : un foyer dont les portes ne sont jamais fermées, un jus de gingembre mythique, une scène sans tréteau, brute, où les sièges grincent au moindre mouvement. Un décor dépouillé qui compense l'excès presque baroque des rues alentour. Fraîcheur humide sur les murs. 

 

Depuis, du bitume ont fleuri d'autres lieux de culture : le Centre Barbara de la Goutte d'Or, l'Institut des cultures d'Islam... Il fait mieux vivre à la Goutte d'Or. Pourtant, on doit la première pierre artistique à Hervé Breuil, fondateur et directeur du Lavoir Moderne Parisien, qui a entamé il y a quelques jours une grève de la faim pour sauver son théâtre.

 

Son théâtre est un lieu détourné, de bien des manières. Ces anciens lavoirs sont aujourd'hui un laboratoire dramaturgique où l'on mènera parfois l'enquête sociologique.  En effet, Hervé Breuil s'est toujours associé à une vie de quartier, n'hésitant pas à organiser un combat de lutte sénégalaise hors les murs de son théâtre, pour le plaisir de partager. La Goutte d'Or est devenu, par simple transfert de dignité, la petite Afrique parisienne. Remotiver des objets culturels mis au ban ou dispersés, les débusquer dans des huis clos en attente de passeurs… Hervé Breuil est depuis le début ce passeur de voix, de Koulsy Lamko à Mamane. C'est pourquoi je soutiens le Lavoir Moderne Parisien, au nom de toute l'équipe de La Plume Francophone 

 

 

lmp

Danielle Fournier, conseillère de Paris et élue Vert - Hervé Breuil, directeur du LMP. Photo par Célia SADAI.  

 

COMPTE-RENDU de la Conférence de Presse du 6 Septembre 2011 à l'Olympic Café

 

Hervé Breuil a invité, le 6 Septembre 2011, un certain de nombre de journalistes à assister à la conférence de presse donnée à l'Olympic Café, l'annexe du Lavoir Moderne Parisien. Le directeur du LMP vient d'entamer une grève de la faim et on le sent affaibli et agité. Vous trouverez ici les informations administratives sur la situation du Lavoir Moderne Parisien qui pourrait fermer ses portes le 21 septembre prochain.

 

Depuis quelques années, l'émergence de petites ou moyennes structures culturelles, associatives ou non, s'est accrue : les Trois Baudets, le 104, bientôt le Louxor. Les conséquences sont paradoxalement néfastes pour des structures plus petites. Cet afflux a causé un déséquilibre dans la distribution des subventions municipales, et aujourd'hui trois lieux emblématiques en paient les frais: la Maison de l'Europe et de l'Orient, la Bellevilloise, et le Lavoir Moderne Parisien.

 

Il y a deux ans,  le Maire de Paris a commandé un audit auprès des services d'inspection générale. Trois inspecteurs de la Ville ont, pendant sept mois, fait le bilan sur dix ans de collaboration entre le LMP et la Mairie de Paris. Au titre du fonctionnement, le LMP perçoit de la Mairie 38 000 € annuels, soit 12% du budget et quelques financements supplémentaires liés à des activités ponctuelles comme le Festival Rue Léon, dont la 12é édition est en cours. 

 

L'audit à n'a relevé dans la comptabilité aucune irrégularité grave : le LMP est en redressement judiciaire depuis 2005, et ses comptes sont de fait extrêmement contrôlés par un administrateur judiciaire.

 

L'association peine aujourd'hui à trouver une solution en raison de l'accumulation des difficultés financières, entre un cumul de dettes liées à l'augmentation incessante du loyer et des charges, et des subventions dont le montant n'a pas changé depuis dix ans.

 

Non seulement l'administration exerce une pression forte et constante sur les gestionnaires de l'association, mais il faut aussi savoir que la création de lieux neufs comme l'Institut des Cultures d'Islam, sur le trottoir d'en face, provoque de nouvelles pressions car les lieux du LMP doivent désormais s'adapter aux normes. Or, l'Olympic Café date de 1834, le LMP date de 1950... Pour Hervé Breuil, c'est une fierté d'avoir sauvé ce lieu qui était destiné à être sacrifié sur l'autel foncier : selon lui, on devrait intégrer le théâtre au patrimoine culturel du quartier de la Goutte d'Or. De plus, en 10 ans de subventionement par la Ville, le LMP compte 154 créations théâtrales; 3 016 représentations - soit 500 par an; 38 000 spectateurs payants.

 

Comparant sa situation avec celle des théâtres municipaux, Hervé Breuil constate qu' "à bilan égal on coûte 20 fois moins cher aux Parisiens", et invite à réfléchir sur le concept associatif : "Nous sommes des lieux-laboratoires. Beaucoup de nos spectacles ont été repris par des équipements municipaux et des théâtres privés, et partent en tournée en France et dans le monde entier. L'audit a été très dévalorisant et ne tient pas compte de nos réalisations artistiques." 

 

En date du 6 septembre, le LMP est au bord de l'expulsion: l'échéance du bail arrivera le 21 septembre prochain et l'association a 60 000 € de loyers de retard.

Laurence Angel, de la Direction des Affaires Culturelles de la Mairie de Paris, a récemment adressé une lettre d'audit, "un botin" de prescriptions et analyses pour conclure que le LMP ne correspondait pas à la politique municipale et que la Mairie allait suspendre ses subventions.

L'équipe du LMP a alors adressé 500 courriers aux élus, jusqu'à faire intervenir les représentants des Verts au Conseil de Paris pour que soit votée une subvention annuelle de fonctionnement, vitale pour le LMP. 

  

En Juillet dernier, Danielle Fournier, co-présidente du groupe Europe Ecologie à la Mairie de Paris, a inscrit auprès de la Mairie une ligne budgétaire de 40 000 € pour faire fonctionner la structure du LMP. Présente ce jour à l'Olympic Café, elle dit regretter un contexte de politique culturelle "où l'on rogne sur tout, où l'on tronque des sommes ridicules dans des petites associations". Selon Danielle Fournier, les subventions ont globalement diminué et seules les grosses structures s'en sortent bien, contrairement aux petites structures où le phénomène a entraîné une dégradation dramatique de la situation. Cependant elle prévient : "Il ne faut pas tomber dans l'opposition". Certes, l'Orchestre Philarmonique de Paris reçoit de la ville 350 millions d'Euros annuels. Danielle Fournier, peu favorable aux grandes structures, rappelle pourtant que ces univers artistiques différents impliquent des fonctionnements différents. En conclusion, "le problème de Paris, c'est le problème du foncier et du loyer."

 

Quelles solutions pour le LMP ? Hervé Breuil se bat pour retrouver une convention de 3 ans - il s'agit d'obtenir un partenariat avec la Ville et une reconnaissance sur la durée. Le 6 septembre, Christophe Girard (adjoint au Maire de Paris, chargé de la culture) a adressé un fax à Hervé Breuil, qui propose une subvention de 49 600 € qui serait votée au prochain Conseil de Paris le 26 septembre prochain. 


Hervé Breuil reste pourtant déterminé "Cela ne suffit, nous devons aller plus loin. J'attends des solutions de l'extérieur, c'est un signal d'écoute, d'ouverture, on s'en remet aux autres et au hasard".

 

Une pétition est en ligne sur le site du théâtre : www.rueleon.net 

 

 

LETTRE DU 5 SEPTEMBRE 2011 D'HERVE BREUIL AU MAIRE DE PARIS

Lettre ouverte au Maire de Paris 


"Monsieur le Maire de Paris,

 

Depuis 25 ans le Lavoir Moderne Parisien dynamise la vie artistique de ce quartier au nom de la démocratie culturelle.

 

A l’image de cette sixième édition du festival des cultures d’islam, crée ensemble en 2006 et repris par la Mairie de Paris, le lavoir moderne parisien est à la source de la création et inspire largement les projets de développement culturel.

 

Malgré un bilan reconnu par ses pairs, La Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Paris considère que Le Lavoir Moderne Parisien « ne correspond pas à la politique culturelle de la municipalité » et met en œuvre depuis des mois ses services pour effacer du paysage culturel Parisien ce patrimoine de la Goutte d’Or.

 

Et le résultat est là : le Lavoir Moderne Parisien est en survivance dans un refus obstiné de la Mairie, de répondre à nos demandes.

 

Quelle place reste t-il aujourd’hui pour l’action artistique, la culture populaire de quartier et la démocratie culturelle ?

Où pourront s’exprimer la créativité, le désir de civilisation, et l’identité multiple ?

De quels laboratoires émergeront les idées les talents et les formes nouvelles ?

 

C’est pourquoi, je demande solennellement que les pouvoirs publics prennent en considération nos demandes et répondent à nos interrogations sur l’avenir du Lavoir Moderne Parisien.

 

Vu l’ampleur de la situation, et me sentant personnellement blessé en tant que fondateur et directeur du Lavoir Moderne Parisien, j’ai pris la décision d’entamer une grève de la faim et de lier mon sort à cette entité culturelle, en danger.

 

Dans l’attente de vous rencontrer, de trouver une solution digne et viable, Monsieur le Maire de Paris, je vous prie d’agréer l’expression de ma considération distinguée.

 

 

Paris le 5 Septembre 2011

 

Hervé Breuil,

Directeur du Lavoir Moderne Parisien"

 

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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 10:00

Fest’Africa Monde : Appel à tous les lecteurs de La Plume Francophone

Par Nocky Djedanoum et Virginie Brinker

 

                                                         « Les rêveurs diurnes sont des hommes dangereux car ils peuvent jouer leur rêve les yeux ouverts pour le rendre possible. »

D. L. Lawrence

 

Fest'africaEn 2007, des membres de l’équipe de La Plume Francophone avait déjà pu assister à Lille au Fest’Africa[1], un festival de littérature africaine fondé en 1993 et dirigé pendant 15 ans par Nocky Djedanoum. Le festival, pendant ces nombreuses années a pu se dérouler en France, au Rwanda, en République Démocratique du Congo et au Tchad.

Aujourd’hui, Nocky Djedanoum a un nouveau projet en tête, et qui compte bien voir le jour : « Fest’Africa monde », et c’est encore lui qui en parle le mieux :

« Il s’agit d’un festival de musique, de la diversité et de la solidarité autour duquel graviteront d'autres événements littéraires et artistiques.

Le premier événement phare de ce festival est un appel aux artistes pour un concert dit de la diversité, de la fraternité et de la solidarité au Stade de France. Il s'agit d'un "concert solidaire" dont les recettes permettront de :

- implanter le festival à Lille.

- relancer le festival pluridisciplinaire "Fest'Africa sous les étoiles" du Tchad dont les deux premières éditions ont eu lieu en 2003 et 2005 à N’Djamena.

- créer la Fondation Fest'Africa Monde (FFAM)


Les objectifs de la Fondation Fest'Africa Monde en France :


- faire la promotion de la diversité, par exemple en faisant intervenir régulièrement dans les écoles, collèges, lycées et universités, des écrivains, artistes, chercheurs etc.
- mener des campagnes de communication massive et nationale sur les questions de la diversité.

- engager un travail de mémoire sur l’histoire de l’esclavage et de la colonisation.
- créer un site internet et un magazine papier spécialisés sur les questions de la diversité et de la solidarité.

- mener des actions de solidarité en faveur des personnes vulnérables parmi lesquelles de nombreux artistes.

- soutenir des créations littéraires et artistiques mettant en avant le "vivre ensemble".
- intervenir sur le plan littéraire et artistique dans les quartiers défavorisés.
- créer un Espace Fest'Africa Monde (Es-FAM) à Lille et si possible dans d’autres villes de France, voire d’Europe.

Les objectifs de la FFAM en Afrique :


- relancer et pérenniser le festival "Fest'Africa sous les étoiles" au Tchad
ainsi que le "Nouveau congrès des écrivains d'Afrique et de ses diasporas"

- soutenir la création africaine dans son ensemble

- fonder la Campagne « EN-JEU-AFRIQUE » (Enfance-Jeunesse Afrique). Il s’agit à travers une telle campagne de mener des actions concrètes en direction des enfants, des adolescents, et des jeunes africains. Champs d’actions : Éducation, Culture, Santé…

- soutenir les différentes actions menées par la société civile africaine (médias, démocratie, droits de l'homme, prévention et résolution des conflits…)

- mobiliser les artistes et les médias pour mener des actions de prévention contre les épidémies telles que le paludisme, le sida...

- s'investir dans la recherche de la paix.

- Fest’Africa Monde au Rwanda en 2014. Commémorer le XXe anniversaire du génocide des Tutsi et le massacre des Hutu modérés du Rwanda.

- créer à N’Djamena un Centre de Recherches Internationales pour la Paix en Afrique et dans le Monde (CRI-PAM).

- éduquer à la culture de la paix.

- créer des Espaces Fest’Africa Monde (Es-FAM) »

LE PROJET FEST'AFRICA MONDE et son premier événement phare, le concert Fest’Africa Monde de la diversité, de la fraternité et de la solidarité au stade de France a donc besoin du soutien d’artistes et de médias notamment. Alors n’hésitez pas à diffuser largement cet appel et à visiter le site détaillant le projet.

Un ouvrage de Nocky Djedanoum, Fest’Africa Monde, Ma quête d’Humanité est également à paraître, et fera, bien sûr, l’objet d’un article sur La Plume Francophone.



[1] N’hésitez pas à relire les différentes chroniques que nous avions alors publiées sur La Plume Francophone : « Besoin d’une nouvelle Afrique, d’un nouvel humanisme », « Fest’Africa » par Circé Krouch-Guilhem, et « Fest’Africa » par Virginie Brinker.

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8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 14:28

 

Chronique

 

 

 

Inauguration de la Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie à l’Hôtel des Invalides (Paris), le 19 Octobre 2010

 

« Les guerres mémorielles de l’entre-soi français »

 

Par Célia SADAI

 

 

 

 

En l’espace de quelques semaines, une série de coïncidences postcoloniales a émaillé l’actualité. Au cinéma, on peut voir depuis le 22 septembre le très controversé Hors-la-loi de Rachid Bouchareb. Le 27 octobre, c’est la Vénus noire d’Abdellatif Kechiche qui s’affiche sur les écrans. Deux réalisateurs originaires du Maghreb. Deux films qui racontent l’Histoire de la France impériale et coloniale, et renvoient notre nation à ses mauvais démons : des zoos humains à la guerre d’Algérie.

 

Pour ceux qui ont opté pour la ballade dans Paris, on pouvait y rencontrer des hommes, commémorant. Tout d’abord, les Harkis (et supplétifs de l’armée française en Algérie) profitaient de leur journée nationale le 21 Septembre. En attendant que Nicolas Sarkozy reconnaisse officiellement l’abandon de la situation harkie par l’Etat. Le 17 octobre, d’autres (du MRAP à la LDH) se sont rassemblés pour commémorer les « Massacres du 17 octobre 1961 », date des violentes répressions contre les manifestants algériens du FLN. Le 24 octobre, on apprend le décès de Georges Frêche, harki-friendly montpelliérain, fustigé pour ses « dérapages » incivils.

 

Le 19 octobre, enfin, d’autres hommes s’étaient réunis à l’Hôtel des Invalides, cette fois non pour commémorer, mais pour inaugurer. Hubert Falco, secrétaire d’Etat aux Anciens combattants, a présenté au public la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, et présentée par François Fillon en 2007 en ces termes :

Nous avons besoin d’une réconciliation sincère des mémoires, d’un apaisement véritable des esprits et des cœurs. Une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie sera créée à cet effet en 2008. Ces questions lui seront confiées. Des historiens indépendants effectueront ce travail. [1]  

 

Ainsi, Hubert Falco inaugure la Fondation avec lyrisme : il s’agit de  « cicatriser les plaies de l’Histoire […] par un travail de mémoire et d’Histoire indépendant, exhaustif, rigoureux qui n’exclut personne et n’évacue aucune question. » [2]

 

Pourtant, la Fondation peine à asseoir sa légitimité, et divise plus qu’elle ne fédère. Prévue par l’article 3 de la loi du 23 février 2005, portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » (et donc de ces derniers exclusivement), elle ravive les controverses de l’époque alors cristallisées autour de son l’article 4 qui portait sur « le rôle positif de la colonisation »[3].


.  

Loi mémorielle et scepticisme historique

 

Le premier malaise porte sur l’objectif « mémoriel » de la Fondation. Elle est toujours dépourvue de conseil scientifique, et les historiens la boycottent arguant de la phrase de Pierre Nora : « La mémoire divise, l’Histoire rassemble » et appellent de leurs vœux une approche scientifique – donc historique – du débat, comme l’affirme Sylvie Thénault :

 

Si on a besoin d’un travail sur la guerre d’Algérie, c’est plus d’un travail d’Histoire […] On peut décider de ne pas travailler à partir de témoignages. […] Si on est orienté par le débat public, c’est biaisé. [Les historiens] peuvent même […] travailler sur des questions totalement oubliées, […] considérées comme marginales par des témoins ayant vécu la période qu’ils étudient ou par des groupes porteurs de mémoire. [4]


Benjamin Stora va plus loin, et fustige en filigrane l’irresponsabilité des politiques : d’autant que sur la scène mémorielle française, on n’en est pas au premier cas d’ « ingérence législative » :


L’urgence pour moi passe par des commissions mixtes d’historiens entre les deux peuples mais pour ça il faut un travail de pédagogie très long pour regagner la confiance. Pour obtenir cette confiance sur le plan politique, culturel et idéologique… ça prend du temps, on ne peut pas décider par en haut de la conduite disons d’une affaire aussi grave, aussi importante. […] Et je crois plus à des commissions du type réconciliation de vérités historiques par exemple, qu’à des fondations de mémoire car des fondations de mémoire c’est bien, mais ça ne fait pas avancer les questions de réconciliation mémorielle. [5] 

 

L’autre malaise est relatif à l’exclusivité mémorielle de la Fondation, destinée aux seuls anciens appelés de l’armée française en Algérie, Harkis et autres formations supplétives de l’armée, et Pieds-Noirs – c’est que l’on comprend de l’intervention d’Hubert Falco :


Aujourd'hui, ces hommes qui ont servi dans le bled ou le djebel sont à l'âge où l'on revient sur sa propre vie. Les souvenirs reviennent. Parfois des souvenirs très douloureux. […] La première réconciliation des mémoires, c'est celle-ci : réconcilier ces hommes qui ont servi sous nos couleurs avec leur propre passé. […] Le drame des Harkis, le drame des rapatriés d'Algérie font partie de notre mémoire nationale.[6]


Une telle orientation partisane scandalise[7]. On ne mentionne à aucun moment les Français d’origine algérienne, dont la mémoire de la guerre est aussi douloureuse et parmi lesquels certains ont défendu « nos couleurs » jusqu’en Indochine… Que reste-t-il du projet annoncé de « parcourir ensemble ce chemin de mémoire, celui de toutes les mémoires qui n’occulte aucune mémoire »[8] ? C’est là le paradoxe sur lequel on a pensé cette Fondation « pour la réconciliation des mémoires » mais « dirigée par les rapatriés pour les rapatriés » [9], et excluant de fait la mémoire algérienne de bien d’autres Français.

 

Sa gouvernance est révélatrice : son président, Claude Bébéar, est un  homme d’affaires et ancien appelé en Algérie. Son conseil d’administration se compose de trois associations d’anciens combattants qui allouent 4m€ sur les 7,2 m€ de financement, le solde de 3m€ étant apporté par l’Etat. Même les Harkis et les Anciens combattants (représentés par la FNACA), les premiers visés en théorie, ne siègent pas.

 

Pour Jean-Charles Jauffret, l’intention électoraliste de la Fondation est indiscutable : « Avec la Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie, on va fortifier les ultras. En ligne de mire, il y a évidemment l’élection présidentielle de 2012 ». Issue d’une loi électoraliste, la Fondation manipule les revendications des Harkis, et « [flatte] le lobby encore actif des nostalgiques de l’Algérie française, proches du Front national. » [10]

 

Sylvie Thénault est sur la même ligne : « On fait un cadeau aux nostalgiques de l’Algérie française. Promouvoir l’œuvre française outremer, c’est une façon de flatter des penchants nationalistes qui permettent d’engranger des voix sur la droite de l’UMP » [11].

 

 

La guerre muséologique

 

« La France souffre de son histoire » déplorait Nicolas Sarkozy dans son discours de Nîmes[12], justifiant ainsi  la création d’un nouveau lieu, la Maison de l’Histoire de France, qui s’installerait d’ici 2015 aux Archives Nationales[13], dans le cœur de Paris.

 

L’annonce est faite lors du discours des Eyzies, en septembre 2010 et les historiens s’insurgent. Ils apparentent le lieu à «  la vitrine historique de l’identité nationale », dépourvu de toute réflexion pédagogique. De plus, chacun s’étonne du projet à l’heure de la construction européenne et d’une mondialisation massive : comment un tel « mausolée du roman national » peut-il inscrire l’ensemble des citoyens français dans leur historicité ? Faut-il comprendre en creux que la Cité de l’immigration, installée en périphérie de Paris, cible quant à elle les citoyens de seconde zone évincés de la Maison de l’Histoire de France ?

 

En 2001, Daniel Hémery démissionne du comité scientifique du Mémorial de Marseille qui selon lui « ne sera pas une institution de connaissance de l’histoire, mais une institution organisatrice de sa méconnaissance. » Il précise que « la notion d'outre-mer n'a été que la version néocoloniale de l'Empire colonial [14].». A Perpignan, le comité scientifique a démissionné du Centre de la présence française en Algérie, et Georges Frêche s’emporte : « Rien à faire des commentaires d'universitaires trous du cul. On les sifflera quand on les sollicitera.».

 

La surenchère mémorielle va plus loin, et toujours dans le même sens. Trois projets de musées, consacrés à la présence française en Algérie, ont été lancés dans le Sud par des élus et des associations pieds-noires : à Marseille : le Mémorial National de la France d’Outre Mer, à Perpignan : le Centre de la présence française en Algérie, à Montpellier : le musée de l’Histoire de la France en Algérie[15] – auxquels vient s’ajouter la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie à Paris.

 

Aucune de ces institutions ne s’est encore dotée d’un conseil scientifique, et chaque initiative suscite l’indignement des historiens (site de la LDH, Le Monde). En 2007 à Perpignan, le Cercle des Algérianistes de France inaugure Le Mur des Disparus : quels noms y seront honorés ? Quid des dizaines de milliers de Harkis, également disparus?

 

Ce mur risque de réactiver la guerre des mémoires, s’inquiète Éric Savarese. D'abord parce qu'il ne mentionne les morts que d'un seul côté. Et aussi parce que sur ce mur vont forcément être inscrits le nom d'anciens meurtriers de l'OAS. De la sorte, les descendants des victimes de cette organisation criminelle se sentiraient légitimement insultés. [16].

 

Cette inégalité de traitement est habilement légitimée par Nicolas Sarkozy sur le plan sémantique. Reconnaissance bienvenue pour les uns :

 

Vous êtes les descendants de celles et ceux qui, dès le début du 19ème siècle ont contribué à l’essor économique de l’Afrique du Nord. La France leur avait demandé d’assurer son rayonnement par delà les mers. Sa grandeur, notre pays la doit aussi à ces femmes et à ces hommes, témoins et acteurs d’une œuvre civilisatrice sans précédent dans notre histoire[17]

 

 Repentance honnie pour les autres :

 

Je déteste la repentance parce qu’on n’a jamais envie de s’intégrer à ce que l’on a apprit à détester alors qu’on devrait le respecter et l’aimer. Voilà ma vérité ![18] 

 

Ainsi il y a d’un côté les français dont la mémoire est flattée et qui se voient ériger des mausolées, et d’autres citoyens qui devraient assimiler une identité nationale qui ignore leur Histoire. Comme le déplore Pascal Blanchard :  

 

Le rejet de la repentance, cher à Nicolas Sarkozy, et avec lui la réhabilitation du passé colonial, servent une nouvelle affirmation de l'identité française.[19]

 

Mémoires ou Histoire ? Repentance ou reconnaissance ? Identité française ou identités des français ? Ces distinctions d’apparence anodine joueront un rôle essentiel dans la façon dont on choisira d’éduquer nos enfants. Ceux qui auront la responsabilité de construire ou déconstruire la cohésion sociale, ou le « vivre ensemble » de notre nation.

 




[1]Discours de François Fillon prononcé lors de la Cérémonie d'ommage national aux Harki, le 25 septembre 2007 : http://www.gouvernement.fr/premier-ministre/ceremonie-d-hommage-national-aux-harkis

[2] Intervention de Hubert FALCO lors de l'inauguration de la Fondation, le 19 octobre 2010 : http://www.defense.gouv.fr/sedac/prises-de-parole/fondation-pour-la-memoire-de-la-guerre-d-algerie-des-combats-du-maroc-et-de-tunisie-mardi-19-octobre-2010

[3] L’article 4 avait été déclassé en raison de s on contenu polémique : "Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux scarifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit." 

[4] Sylvie THENAULT, « Contre l’article 3 », in C. LIAUZU et G. MANCERON (dir.), La colonisation, la loi et l’histoire, mars 2006, Ed. Syllepse.

[5]Interview de Benjamin STORA, sur Arte TV, octobre 2010 : http://videos.arte.tv/fr/videos/interview_de_benjamin_stora-3490434.html

[6]Hubert FALCO : voir note [2]

[7] Le 5 octobre 2007 Le Monde titrait « Non à une Fondation de la mémoire partisane ». Pour le quotidien, cette loi a rendu hommage à une seule catégorie de victimes (Harkis, anciens appelés, militaires ou civils français) en ignorant et passant sous silence d’autres victimes de la guerre d’indépendance.

[8]Hubert FALCO : voir note [2]

[9]Discours de Nicolas SARKOZY : « Harkis : le discours du 31 Mars 2007 », au siège de campagne de Nicolas Sarkozy : http://www.dailymotion.com/video/xb...

[10]Entretien avec Jean-Charles JAUFFRET paru dans Télérama, le 22 septembre 2010.

[11]  Entretien avec Sylvie THENAULT paru dans L’Humanité du 5 octobre 2007.

[12]Nicolas SARKOZY, Discours de Nîmes,disponible sur le site de l'Elysée : http://www.elysee.fr/president/les-actualites/discours/discours.18.html?cat_id=3

[13]N.d.A. Qui seront déplacées à Pierrefitte…

[14]La lettre ouverte de Daniel Hémery est disponible sur le site de la LDH http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1214

[16] http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2065 , Eric SAVARESE, « En finir avec les guerres de mémoires algériennes en France ? ». A noter : en 2008, le tribunal administratif de Marignane avait ordonné le démantèlement d’une stèle érigée par l'association Adimad, à la gloire «des combattants tombés pour que vive l'Algérie française ». En effet, la stèle réhabilitait les héros de l'Organisation, comprendre les morts de l'OAS. 

[17]Extrait de la lettre du 16 Avril 2007, adressée par Nicolas SARKOZY au cours de sa campagne, à Denis FADDA, président du Comité de liaison des association nationales de rapatriés (CLAN-R).

[18]Nicolas SARKOZY, discours au Zénith de Paris du 18 Mars 2007 : http://sites.univ-provence.fr/veronis/Discours2007/transcript.php?n=Sarkozy&p=2007-03-18

[19]Pascal BLANCHARD, http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/____pour_en_finir_avec_la_repentance_coloniale/p10-0.html

 


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19 janvier 2010 2 19 /01 /janvier /2010 00:01

« Toussaint Louverture : dramaturgie du Résistant, de l’allégorie au concept. Un hommage à Haïti. »

par Célia SADAI

 

Saturation des ondes. Depuis quelques jours, c’est le décompte mathématique, la mesure statistique ou la déploration mystique - et je n’ai pas la télévision. Ce matin, dès 7h, France Culture dédie sa matinale à Haïti,  qui enfle par les mots comme un personnage de tragédie, inlassablement raconté et éventré. Haïti et son corps insulaire qui n’est plus qu’un charnier ; exhibé au balcon impudique des quêteurs d’images édifiantes.

Le tragos. Haïti au sort scellé par le tribunal démocratique. Le billet d’Alexandre Adler.  Le point sur la milice anti-démocratique des Tontons Macoute ; sans compter l’impuissance des régimes anti-démocratiques de Dessalines, Duvalier, Aristide ou Préval… La nation piégée par l’éternel retour des catastrophes climatiques et des guides providentiels manchots n’inspire que des récits fatalistes. C’est pourquoi le président Nicolas Sarkozy retrousse ses manches, tout comme Lula, Barack Obama et Stephen Harper. Les Quatre Fantastiques s’en vont conjurer la malédiction, comme Nicolas Sarkozy l’annonce dans sa conférence de presse du 14 janvier 2010 : « Haïti n'a pas vocation à être un pays martyr. Cette nouvelle tragédie  peut être la dernière si la communauté internationale se mobilise pour aider ce  pays ». D’autant que plusieurs ministres du gouvernement haïtien ont péri dans le tremblement de terre. Ce matin, Alexandre Adler sanctionne le « cas Haïti »: « La Coopération est la voie nécessaire à la reconstruction d’Haïti.» 

Une vue. Un reporter raconte sans excès le décor d’apocalypse – le rythme est désespéré pourtant : « Il ne reste plus rien ». Même chose pour l’ambassade de France, dont un mur s’est entièrement effondré pour ouvrir le huis clos diplomatique à son voisin, un bidonville grouillant et odorant. Premier pas vers un effort de « coopération » ?

Une vue de l’esprit. Petite, je regardais cette telenovela brésilienne sur l’esclavage, Isaura (adaptée du roman de Bernardo Guimarães, A escrava Isaura, 1875). Je regardais aussi l’histoire de Kunta Kinté dans l’adaptation télévisée du roman d’Alex Haley, Roots (1976). Je ne comprenais pas très bien d’où venaient ces esclaves, ni pourquoi on était si méchant avec eux… Les traits victimaires étaient tellement grossis qu’il n’y avait pas de place pour une conscience de souffrir. La communauté des esclaves y fonctionnait comme un corps christique et maudit. Ces récits m’ont initiée au sentiment d’injustice. Pourtant, deux Haïtiens m’ont appris à me méfier de ce même sentiment. Le premier, Toussaint Louverture, par l’acte de révolte, et de sabotage d’un système. Le second, Dany Laferrière, par l’acte d’écriture, et de sabotage des émotions prescriptives sur le « martyr caribéen » (Pays sans chapeau, 1999 et La chair du maître, 2000) : j’ai alors l’intuition que toute saisie de ce « tragique » de l’extérieur est un débordement de paroles impertinentes, néfastes et vaines. A chacun sa centralité, en quelque sorte.

 [Je crains] que cette catastrophe ne provoque un discours très stéréotypé. Il faut cesser d'employer ce terme de malédiction. C'est un mot insultant qui sous-entend qu'Haïti a fait quelque chose de mal et qu'il le paye. C'est un mot qui ne veut rien dire scientifiquement. On a subi des cyclones, pour des raisons précises, il n'y a pas eu de tremblement de terre d'une telle magnitude depuis deux cents ans. Si c'était une malédiction, alors il faudrait dire aussi que la Californie ou le Japon sont maudits. Passe encore que des télévangélistes américains prétendent que les Haïtiens ont passé un pacte avec le diable, mais pas les médias… Ils feraient mieux de parler de cette énergie incroyable que j'ai vue, de ces hommes et de ces femmes qui, avec courage et dignité, s'entraident. Bien que la ville soit en partie détruite et que l'Etat soit décapité, les gens restent, travaillent et vivent. Alors de grâce, cessez d'employer le terme de malédiction, Haïti n'a rien fait, ne paye rien, c'est une catastrophe qui pourrait arriver n'importe où. Il y a une autre expression qu'il faudrait cesser d'employer à tort et à travers, c'est celle de pillage. Quand les gens, au péril de leur vie, vont dans les décombres chercher de quoi boire et se nourrir avant que des grues ne viennent tout raser, cela ne s'apparente pas à du pillage mais à de la survie. Il y aura sans doute du pillage plus tard, car toute ville de deux millions d'habitants possède son quota de bandits, mais jusqu'ici ce que j'ai vu ce ne sont que des gens qui font ce qu'ils peuvent pour survivre.[1]

 

Haïti anthropomorphique et anthropophage. L’ogresse qui a dévoré ses propres enfants… Point de chute de la Traversée. Point d’ancrage du commerce triangulaire. Point d’origine de la ruse maronne des Caribéens, aussi.

Toussaint Louverture. Lecture croisée d’Olympe de Gouges et d’Aimé Césaire. La première, humaniste abolitionniste et révolutionnaire, me fait découvrir ce nom aux sonorités qui me sont alors étranges : Toussaint Louverture, déréalisé et fantasmatique. Chez Aimé Césaire je saisis en Toussaint Louverture le héros fondateur d’un épique noir ; tel un Chaka Zulu caribéen. Quand je voyage à la Nouvelle Orléans, je constate : nombreux sont les fils que d’orgueilleux parents prénomment Toussaint.

Miraculés de la terre. Plus tard je découvre les théories marxistes de Frantz Fanon (Les Damnés de la terre, 1961). Le psychiatre martiniquais y porte le projet utopique d’un tiers-monde révolutionnaire. Et petit à petit les choses s’organisent, et se fédèrent autour d’une figure : le Résistant allégorique, un Toussaint Louverture archétypal. Haïti a engendré ce dont les hommes ont soif : une figure mythique d’identification. Toussaint Louverture est un héros historique, mais aussi symbolique et conceptuel. Tel Prométhée, il a insufflé aux consciences noires et aliénées le pouvoir de briser les chaînes. Otez vos baillons, et regardez dans ce miroir, je vous présente votre humanité. Ainsi, aux mystiques impuissants à conjurer la malédiction, je répondrai qu’Haïti est la terre où le miracle s’est produit. Déshumanisé, désincarné et instrumentalisé, en proie à une logique impériale accablante, Toussaint Louverture a inspiré les luttes d’émancipation des siècles à venir. Si Haïti n’a d’autre mérite que d’avoir été le lieu de cette dramaturgie héroïque – eh bien racontons-le quand même.

C’est par le prisme de cet acte légendaire que s’est édifié le regard porté aux littératures postcoloniales. Un regard tendu vers l’effort d’affranchissement et la soif de liberté. A ce titre, la révolte de Toussaint Louverture est le geste poélitique fondateur.

[Paroles de Dany Laferrière à Frankétienne quand, suite au tremblement de terre, Frankétienne doute de l’utilité de l’art] : - Ne laisse pas tomber, c'est la culture qui nous sauvera. Fais ce que tu sais faire. Ce tremblement de terre est un événement tragique, mais la culture, c'est ce qui structure ce pays. Je l'ai incité à sortir en lui disant que les gens avaient besoin de le voir. Lorsque les repères physiques tombent, il reste les repères humains.[2]

 



[1]  Propos de Dany Laferrière recueillis par Christine Rousseau pour Le Monde du 16 Janvier 2010 : « Haïti : le témoignage bouleversant de l'écrivain Dany Laferrière »

[2] Idem.

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9 décembre 2008 2 09 /12 /décembre /2008 20:29

D’encre et d’exil célèbre l’Afrique à la BPI pour son édition 2008

Texte et photographies par Célia SADAI



                                      


                               Esther Mujawayo, Souâd Belhaddad, Nathalie Carré, Gaston-Paul Effa.

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Table ronde se reconstruire dans l'exil by Célia Sadai est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.

              Du 5 au 7 Décembre 2008 se sont tenues au Centre George Pompidou à Paris les 8èmes rencontres internationales des écritures de l’exil, « D’encre et d’exil ». A l’initiative de leur conceptrice, Florence Verdeille-Osowski
[1], les rencontres intitulées cette année « L’Afrique… si près, si loin » ont accueilli une dizaine d’auteurs africains, francophones ou anglophones, venus s’exprimer sur une expérience qui les rassemble : leur exil. On comptait entre autres parmi les auteurs invités : Alain Mabanckou (Congo), Abdourahman A. Waberi (Djibouti), Kossi Efoui (Togo) ou Sami Tchak (Togo).

 

 Lors d’une série de tables rondes animées par quatre modérateurs (Nathalie Carré, Bernard Magnier, Boniface Mongo M’Boussa et Pascal Jourdana), les auteurs et leur public ont rythmé et mené une réflexion sur les modalités de l’exil à l’africaine – mais aussi comme expérience humaine. Le départ, la reconstruction, la distance ou le retour ont composé les étapes d’une parole qui, durant trois jours, a circulé de bouche bavarde ou pudique à oreille tendue … et émue.

 

Assumer, survivre, et méditer

 

L’exil pour filiation. Dans la mise en récit de sa propre histoire, Souâd Belhaddad[2] décrit l’exil comme une pathologie dont elle a hérité de ses parents, algériens et musulmans. L’auteur de Entre-deux je : Algérienne ? Française ? Comment choisir…raconte son incapacité à réconcilier deux fantasmes d’ailleurs – à la source d’une définition de l’exil, selon elle. Son Ici, c’est l’ailleurs fantasmé, objet du désir de ses parents. Cette tension de l’expérience et du désir voue nécessairement celui qui l’éprouve à une forme de schizophrénie. La journaliste algérienne se situe alors en rupture avec l’écueil idéaliste qui veut que la double culture soit une richesse. Pour Souâd Belhaddad, il n’y a pas de double capital culturel donné ; mais construit, entre une souffrance pathologique et la destruction des idéaux. L’écriture joue évidemment un rôle clé comme acte transgressif qui oppose le Je à la communauté de la Ouma. C’est ainsi que celle qui « a paniqué » quand l’école républicaine lui enseignait le Je, a choisi les voies de l’écriture pour ne plus assumer un exil et des désirs qui n’étaient pas les siens.

 

Partir, c’est survivre. La Rwandaise Esther Mujawayo[3] et l’Algérienne Souâd Belhaddad ont co-écrit trois textes sur ce qui a poussé Esther Mujawayo à l’exil : le génocide rwandais de 1994. Lors de ces rencontres, Esther Mujawayo ne revient pas, ou très peu, sur le génocide. Elle porte au contraire une parole très intime et livre au public les circonstances de son exil pour l’Allemagne avec ses filles, et les sentiments confus qu’elle éprouve alors : peur de sombrer dans la folie, culpabilité vis-à-vis de ceux qui sont restés, instinct maternel…

Esther Mujawayo rappelle que les premiers exils ont lieu dès 1959 : elle-même ne quitte le Rwanda que lorsque le voyage apparaît comme un rempart évident contre la folie. Le peuple rwandais est un peuple qui « garde dans le ventre », qui ne dit pas la douleur. L’exil décrit par Esther Mujawayo se situe à mi-chemin entre un acte de parole et l’histoire d’une parole. Entre le terme du génocide en 1994 et le départ en 1999, c’est la parole qui creuse la distance, qui édifie les remparts, au sein de l’Association des veuves du génocide (AVEGA). Le départ pour l’Allemagne, puis le passage à la mise en récit de son histoire personnelle composent pour Esther Mujawayo les étapes d’un processus global de résistance/résilience contre la folie et la haine. La thérapeute rwandaise, si elle distingue d’emblée son propre exil de celui vécu par ses filles, avoue cependant que ses récits se destinent surtout à transmettre à ses filles l’héritage de son exil à elle. Mais un exil épuré, rendu plus serein par une parole thérapeutique.

 

L’exil intérieur. Pour Gaston-Paul Effa[4], l’exil est dès l’enfance « une manière banale et pratique d’habiter le monde. ». L’auteur camerounais fait l’analogie entre deux expériences où « l’arrachement est le commencement » : très jeune, ses parents le confient à des religieuses blanches auprès desquelles il fait sa scolarité. Plus tard, c’est l’arrachement à la terre originelle pour l’épreuve de l’entre-deux, et le repli dans la terre d’accueil et nomadisante qu’est la langue de l’écriture. Ecueil ? Gaston-Paul Effa revient pourtant à la question cruciale de la tradition et de la rupture : comment exister pour soi en Europe tout en restant fidèle à « une éducation au pluriel ? ».

L’exil, pour l’auteur camerounais, est une histoire agrammaticale de pronoms personnels. Dans la tradition fang raconte-t-il, l’enfant qui naît est âgé de 4500 ans. Trouver le Je, c’est réconcilier les morts en lui. Ainsi, l’itinéraire de l’exilé est un parcours qui s’effectue dans l’humilité et exige un pacte avec les anciens : il s’agit de se situer à mi-chemin entre une disposition à recevoir et une capacité à transmettre. L’helléniste rappelle enfin que l’ailleurs, c’est l’uteros, là où tout commence. L’exil est nécessaire quand le monde est menaçant ; c’est aussi le péril de la fausse-couche ou d’un monde mort-né. Dès lors, que peut nous promettre le retour à l’écriture ?

 

Décrit comme une métaphysique, une méthode ou une destination, l’exil est un geste égoïste et nécessaire qui engendre la culpabilité, mais qui est aussi lieu des possibles, lieu où ça naît.




                               Sami Tchak, Alain Mabanckou, Pascal Jourdana, Kangni Alem, Wilfried N'Sondé.


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Une parole sans destination ?

 

L’artiste qui s’exile rompt-il nécessairement avec le public de la terre d’origine pour re-sceller, de l’autre côté, un pacte avec le public de la terre d’accueil ? Le doublet perte/substitution inscrit-il la réception des œuvres produites en exil dans une distribution systématique ? Tout se passe comme si la distance où ces écrivains ont choisi de s’installer devenait aux yeux de certains une béance propice à engendrer rêve, fantasme, mais aussi colère ou déception. Les récits personnels des auteurs comme leurs interactions avec le public ont montré, lors de cette édition des rencontres D’encre et d’exil, que l’artiste africain qui choisit de créer hors des frontières nationales perd une communication confortable basée sur la confiance et  l’estime.

 

Le faux noir. D’après sa propre expérience, et en porte-à-faux avec le récit de Gaston-Paul Effa, Wilfried N’Sondé[5] avoue son incapacité à rester fidèle aux traditions dont il a hérité. Le jeune auteur camerounais vit aujourd’hui à Berlin, ville européenne très propice à la rencontre. Le décalage avec une « vraie vie d’africain » n’en est que plus vif. C’est alors qu’il devient un « faux noir », victime d’un regard collectif rempli d’exigences. Wilfried N’Sondé raconte qu’il « vit comme écrivain en Europe et existe comme nom en Afrique. Le départ a créé des liens que ceux [NdA : les écrivains] qui vivent là-bas n’ont même pas parfois. ». Ces liens peuvent être fondés sur un pacte supposément trahi avec les attentes du milieu d’origine – en contradiction avec le milieu de production de l’œuvre littéraire. Kossi Efoui[6], lui, prévient : « ma togolité ne me rapproche ni ne m’éloigne de mon pays. J’écris avec la conscience de l’inconnu opaque du lecteur, figure énigmatique : qui vais-je rencontrer ? ».

Sami Tchak[7], sans qu’il se sente en rupture avec sa terre d’origine, a néanmoins produit une série de textes qui ont fait rupture et se sont attiré les  foudres, de Femmes infidèles à Place des fêtes. L’auteur togolais n’aurait pas respecté les secrets de son ethnie, et aurait aussi ôté le voile sur les réalités triviales de l’immigration. Pourtant, combien dure la rupture ? Aujourd’hui Femmes infidèles sert d’illustration à la lutte contre le SIDA. De même, pour toucher un public africain, Alain Mabanckou[8] mise la carte de l’adaptation à d’autres pratiques du livre, pour l’essentiel moins coûteuses. Ainsi, le roman Verre cassé a été joué sur les planches au Congo en 2008.

 

La critique paresseuse. Alain Mabanckou décrit un temps mystique qui favorise le retour aux origines, le temps de la nuit. De même, la présence de se terre d’origine est invisible dans son écriture, mais s’exprimera dans une lecture qui en favorise l’émergence. C’est pourquoi Alain Mabanckou ne se sent pas concerné par l’idée d’une rupture avec un public / un peuple ; accusant la critique littéraire « qui, elle, se nourrit de cette supposée rupture. ». In fine, pour Alain Mabanckou, assumer qu’il y a rupture c’est proposer un idéal, un exotisme de l’exil. Pour le dramaturge Kangni Alem[9], c’est la critique qui construit la légende de l’exilé, sanctionnant systématiquement sous le joug des « attentes » toute pratique littéraire et positionnement sur le monde. Sami Tchak porte le même regard méfiant vis-à-vis de la critique : « La critique crée la lecture. Par paresse, elle ne comprend pas la direction qu’empruntent les auteurs, qui ne font pourtant que s’abreuver à la source de l’enfance : c’est dans l’exil qu’ils disent en effet pouvoir assumer leur héritage autrement. La critique présuppose une rupture mais la vraie rupture, c’est que nous avons un public, mais pas de lecteurs. ». Critiques et chercheurs tendent donc à récrire le livre, comme un palimpseste hâtif, dans l’urgence de dramatiser l’exil du créateur.


De même, Alain Mabanckou précise qu’un discours sur la communauté noire ne doit pas nécessairement venir de ceux qui lisent les auteurs noirs.





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Y a-t-il un african dream ?

 

L’achèvement de l’expérience d’exil comme lieu où s’accomplissent les désirs, c’est l’itinéraire choisi par de plus en plus d’intellectuels africains : le départ pour l’Amérique. Alain Mabanckou enseigne les Lettres francophones à U.C.L.A. (Los Angeles), Abdourahman A. Waberi[10] a bénéficié en 2008 d’une bourse d’écriture au Wellesley College  (Boston). Tous deux décrivent les U.S.A. dans les mêmes mots : comme un « pays-monde ». Dans un même pays, la question omniprésente de la race constitue des communautés fortes – comme des doubles du pays d’origine. Pourtant, la capitalisation des potentiels humains est aussi ce qui permet l’effacement de la race. C’est cette contradiction qui aimante sans doute l’intellectuel africain qui jouit aux Etats-Unis du lien avec le pays d’origine, sans que ce lien ne fasse obstacle à une globalité états-unienne.

 

La question noire. L’intérêt du dialogue Mabanckou / Waberi a été de décentrer la thématique fédératrice de l’exil pour questionner la notion spécifique de diaspora. Comment réagit l’écrivain africain lorsque le pays d’accueil ne le renvoie pas à une stricte adversité, mais à une autre proposition sur la question noire ?

Alain Mabanckou interroge la possibilité d’une superposition de deux questions noires : française et américaine. Le gommage de deux histoires noires concurrentes n’est pas possible : le middle passage exclut la colonisation et les immigrations à l’européenne. Mabanckou comme Waberi a lu l’essai récent de l’historien Pap N’Diaye, La condition noire[11], qui pose les fondements du débat qui a pris forme ce dimanche au Centre George Pompidou. Les noirs de France ont choisi l’exil pour un grand nombre de raisons, et « [ces] vies individuelles paralysent une action collective. ». Dès lors, les noirs de France ne peuvent s’inscrire dans la tradition de lutte [NdA. v. le « civil rights movement »] qui rassemble les noirs des U.S.A. autour d’une même tragédie d’origine, la traite. Dans la lignée de Pap N’Diaye donc, Alain Mabanckou affirme que les noirs de France ne se connaissent pas et ne s’inscrivent pas dans une condition noire. C’est donc dans ce sens qu’il faut considérer la question noire globale, inévitable dans les écritures africaines.

 

Hospitalité = progrès. Revenant rapidement sur le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, Alain Mabanckou évoque le problème de la question coloniale en France. Après son expérience américaine, Mabanckou oppose deux modalités de l’hospitalité, française et américaine. Pour lui, « la France ne croit pas en ses minorités et dévalorise l’histoire de l’Afrique qu’elle méconnaît. ». Tant que la présence des noirs en France n’aura pas fait l’objet d’un véritable débat intellectuel, les noirs d’Afrique pousseront plus loin leur immigration : il y a donc une Histoire commune à créer pour que le noir de France appartienne à une catégorie reconnue par la République. L’utopie de Waberi Aux Etats-Unis d’Afrique s’inscrit dans ce désir d’Histoire : le roman comble l’absence en décrivant une Afrique devenue le centre politique, économique et culturel du monde.

 

What about Obama ? Comme Rosa Parks ou Martin Luther King, Barack Obama représente pour les deux auteurs un personnage historique qui n’appartient qu’à l’Histoire africaine-américaine. Pour autant, la théorie émergente du post-racialisme n’a pas de légitimité fondée : un noir  ne peut réussir sans le renfort de sa communauté. Comme le décrit Paul Gilroy dans The black Atlantic, ou encore Dominic Thomas dans Black France, le cas africain-américain renvoie donc à l’absence de discours sur une présence taboue, incolore ou spectrale des noirs de France.



                               
                           Wilfried N'Sondé, Esther Mujawayo, Kangni Alem, Bernard Magnier, Veronique Tadjo, Kossi Efoui

 
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Modalités du retour

 

Le cahier des charges. Wilfried N’Sondé quitte le Congo à l’âge de 5 ans. Il raconte qu’en 1973, le Congo est le berceau du socialisme scientifique : c’est l’Histoire des peuples qui justifie son départ : « il s’agissait de former des élites en Europe pour nourrir la révolution prolétarienne. ». Sur le retour il cite Fatou Diome : il s’agit d’ « aller chez soi comme on va à l’étranger ». Après 35 ans d’absence, c’est le visa du livre qui lui a permis de répondre au « cahier de charges » rédigé à l’adresse de l’artiste exilé. Il raconte avec humour : « J’ai étudié aux frais de l’état socialiste, notre tâche étant de rapporter quelque chose à notre pays. Ma mission était de revenir avec un livre, je suis revenu avec un prix. » [NdA. Prix des Cinq Continents de la francophonie pour son roman Le cœur des enfants léopards].

 

Kossi Efoui, l’original. Kossi Efoui a marqué cette rencontre par ses opinions aussi sceptiques que provocatrices:

 

Je confie ma vie au hasard. Il n’y a pas au monde un endroit où je me sentirais mieux qu’ailleurs. Je ne crois pas en la promesse du lien de naissance ; une vérité de soi qui nous manquerait lourdement dans notre construction. Origine, identité et racisme sont une croyance à laquelle chacun se sent forcé d’adhérer.

[Pour moi] l’exil est un objet de pensée, c’est un mouvement naturel. La nostalgie est un sentiment ordinaire et non une énigme de construction. Je ne développe aucune croyance en un lieu qui résolve mes inquiétudes.


Kossi Efoui
raconte qu’il a quitté le Togo pour échapper à une dictature où « écrire est un acte clandestin qui consiste à inventer des ruses » : le voyage a eu lieu pour vivre dans une démocratie. La démocratie est alors un horizon rêvé et fantasmé, qui symbolise un endroit idéal où l’acte d’écrire a lieu publiquement, et dans la liberté. Pourtant, le voyage révèle qu’il n’y a pas d’endroit où l’acte d’écrire existe en parfaite harmonie avec le partage du pouvoir. Le cas du théâtre d’appartement le questionne beaucoup : en Europe de l’Est, cette pratique théâtrale est stratégique dans un climat de méfiance ; et impose a posteriori une esthétique La posture de résistance et de méfiance agit même dans une démocratie : « face à quelles valeurs va-t-on ruser ? C’est ce que je cherche à enseigner au étudiants togolais ; ce regard qui nie la foi naïve en la démocratie pour maintenir en permanence les outils de ruse. ».  A l’instar de l’écrivain togolais, l’ivoirienne Véronique Tadjo déclare ne pas ressentir le besoin de « poser ses valises, ni le sentiment confortable d’appartenance ». La crise politique et identitaire que traverse la Côte d’Ivoire depuis les années 2000, autour du concept émergent d’ « ivoirité », l’a faite déchanter. Désormais c’est en terme de « place » qu’elle se pense au monde : « là où je serai utile. », sans grande croyance dans « le grand retour ».

 

 

A Sami Tchak de conclure que l’on reproche toujours à l’écrivain africain de se tenir soit trop près, soit trop loin de l’Afrique. A nous de féliciter l’initiative annuelle du pôle d’Action culturelle du centre Pompidou, dont les rencontres évitent à chaque fois les sentiers battus.




[1] Florence Verdeille-Osowski est la conceptrice de l’événement culturel annuel « D’encre et d’exil », qui met à l’honneur les écritures de l’exil. La manifestation est organisée par la Bibliothèque Publique d’Information, Pôle d’Action culturelle et Communication, Service de l’Animation.

[2] Souâd Belhaddad est une journaliste née en Algérie. Elle est notamment l’auteur d’Entre-deux je : Algérienne ? Française ? Comment choisir…, Mango-Document, 2001. Dans sa galerie de portraits de femmes, on retrouve la rwandaise Esther Mujawayo, avec laquelle elle a collaboré pour trois ouvrages, de 2004 à 2006.

[3] Esther Mujawayo est née au Rwanda en 1958. Elle et ses filles échappent au génocide de 1994, mais l’ensemble de sa famille ne survit pas. Elle décide donc de s’exiler en Allemagne où elle se remarie et exerce la profession de thérapeute, spécialisée dans les cas de traumatismes liés à l’immigration. Elle a mis sur papier son histoire, notamment dans Survivantes : histoire d’un génocide, éd. de l’Aube, 2005, et récemment dans La fleur de Stéphanie, Flammarion, 2006.

[4] Gaston-Paul Effa est né en 1965 à Yaoundé au Cameroun. Il a publié en 2008 Nous, enfants de la tradition, Anne Carrière.

[5] Wilfried N’Sondé est un jeune auteur né à Brazzaville, au Congo, en 1968. Son premier roman Le cœur des enfants léopards, paru aux éditions Actes Sud en 2007, a remporté le Prix des Cinq Continents de la Francophonie et le prix Senghor, dont l’équipe de la Plume francophone faisait partie du jury. Il est actuellement boursier d’une résidence d’écriture à Berlin.

[6] Kossi Efoui est né en 1962 à Anfouin au Togo. Son dernier roman, Solo d’un revenant, est paru en 2008 aux éditions du Seuil.

[7] Sami Tchak est né en 1960 au Togo. Il s’est fait connaître notamment pour le « scandaleux » Place des fêtes, Gallimard, 2001. Il a publié en 2008 Filles de Mexico, paru aux éditions du Mercure de France.

[8] Alain Mabanckou est né en 1966 au Congo Brazzaville. Il enseigne depuis 2002 les littératures francophones aux Etats-Unis. Il a renforcé la fraternité noire transatlantiques en traduisant le roman du jeune écrivain américain d’origine nigériane Uzodinma Iweala, Bêtes sans patrie, paru en 2008 aux éditions de L’Olivier.

[9] Kangni Alem est né en 1966 à Lomé au Togo. Il est à la fois homme de théâtre, critique littéraire et essayiste. Il enseigne actuellement les Lettres francophones à l’Université de Lomé. Il a surtout été révélé au public en 2003 pour son roman Coca-cola jazz (Dapper).

[10] Abdourahman Ali Waberi est né en 1965 dans la Côte française des Somalis, l’actuelle République de Djibouti. Ses récits « postcoloniaux » comme le Cahier nomade (Le serpent à plumes, 1996), qui ont construit une mythologie du Sahel, l’ont fait découvrir au public. Il a publié en 2006 le récit utopique Aux Etats-Unis d’Afrique (Jean-Claude Lattès, 2006, Actes Sud, 2008).

[11] Pap N’DIAYE, La condition noire, Paris, Calmann-Lévy, 2008. Un entretien diffusé sur France 24 est disponible en cliquant sur le lien suivant : http://www.france24.com/fr/20080616-entretien-pap-ndiaye-question-noire-historien-auteur&navi=DEBATS

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18 juillet 2008 5 18 /07 /juillet /2008 12:42

Chronique

 

Regards sur l’excision

« Un sourire nouveau sur un corps acceptable, le mien »

Par Virginie Brinker

 

Les Editions Chèvre-feuille étoilée ont publié en mars 2008 Entière ou la réparation de l’excision de Marie-Noëlle Arras. Ce court ouvrage très dense, riche et documenté, se veut explicatif et informatif avant tout, mais il comporte aussi des témoignages et une nouvelle. Il aborde l’excision sous des angles très différents, notamment via la parole des médecins, le témoignage des victimes, la perspective psychologique et la dimension juridique.

Le témoignage de Mahoua Kone, une femme originaire de Côte d’Ivoire, décrivant ses souffrances et son rejet total de sa mère, complice du crime, est particulièrement percutant.

Le principal objectif du livre étant de faire connaître au plus grand nombre l’excision et surtout les moyens de la « réparer », c’est dans cet esprit que nous retiendrons ici quelques informations importantes[1].

 

L’excision, pourquoi ?

L’excision touche encore aujourd’hui 130 millions de femmes à travers le monde. Un tiers des femmes africaines subsahariennes est excisé, mais la situation varie fortement d’un pays à l’autre (20% au Sénégal, 90% au Soudan). L’ethnie Mandé (Mali, Sénégal, Mauritanie, sud du Sahara) est toutefois très concernée. En Egypte, neuf femmes sur dix le sont alors que la loi l’interdit depuis 1997. Mais les témoignages recueillis en France par le Dr Michèle Wilish nous rappellent que ce phénomène ne nous est pas étranger : « Elles sont issues de tous les horizons sociaux, de France ou d’Afrique, elles sont modernes ou traditionnelles, elles ont tous les âges (de 18 à 65 ans)[2]». On estime que 53 000 fillettes et adolescentes vivant en France ont été mutilées ou sont menacées de l’être.

L’ouvrage répertorie un certain nombre d’explications avancées par les tenants de l’excision : des raisons psycho-sexuelles (afin de priver la femme de désir pour préserver sa virginité avant le mariage et sa fidélité une fois mariée, accroître le plaisir masculin) ; des raisons sociologiques (identification avec l’héritage culturel, rite initiatique, intégration sociale) ; raisons d’hygiènes et d’esthétique (les organes génitaux de la femmes passant pour être sales et inesthétiques) ; des raisons mythiques (accroissement de la fécondation et promotion de la survie de l’enfant) ; raisons religieuses (alors que la pratique de l’excision est antérieure à l’avènement de la religion musulmane, certaines communautés musulmanes croient en toute bonne foi que l’excision fait partie des prescriptions de l’Islam).

           

Les conséquences de l’excision

L’excision recouvre des pratiques plus ou moins mutilantes (la sunna, la clitoridectomie et l’infibulation[3]) mais toutes traumatisantes et dangereuses. Il ne faut pas, en effet, perdre de vue que 5 à 15% des petites filles meurent des suites de l’excision, selon l’OMS.

Le Dr Pierre Foldes, dans la préface de l’ouvrage, rappelle que la mutilation sexuelle féminine « atteint l’intégrité féminine et touche tous les aspects de la vie de la femme[4] », aggravant considérablement le pronostic obstétrical, affectant la vie sexuelle et le fonctionnement du couple, et modifiant l’image corporelle ainsi que l’intégrité physique et morale.

Par conséquent, l’excision relève en France de la cour d’assises. Depuis 2006, un nouvel article de loi étend l’application de la législation française en la matière aux mineures de nationalité étrangère résidant habituellement en France et victimes à l’étranger d’une mutilation sexuelle.

 

La réparation

Un acte chirurgical, pour lequel le Dr Pierre Foldes est très connu (ayant opéré 2500 femmes dont 2300 en France) permet aujourd’hui de réparer la mutilation. L’ouvrage en précise le protocole et le détail. Cet acte est remboursé en France à 100% depuis 2004. Même si l’ouvrage précise qu’un accompagnement psychologique est nécessaire, cette opération est toutefois qualifiée de miracle, témoignages à l’appui :

« Maintenant, je n’ai plus de problème. C’est comme une ouverture dans ma tête et dans mon corps[5] », nous dit Mahoua Kone.

Entière insiste enfin sur un point capital : la nécessaire formation des médecins français en la matière et rappelle que les professionnels de santé qui ne signaleraient pas la réalité d’une excision ou le risque encouru par une enfant risquent une amende de 15 000 euros et un an d’emprisonnement ferme, la prévention étant un des seuls moyens de lutter contre ce fléau.

 

Adresses utiles

- Association « Soutien aux excisées » fondée par Mahoua Kone : soutienexcisees@yahoo.fr

- Docteur Foldes, Clinique Louis XIV, Saint-Germain-en-Laye : 0033 (0)1 39 10 26 26 ; 0033 (0)1 39 27 42 48

- GAMS (Groupe de femmes pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles et autres pratiques affectant la santé des femmes et des enfants) : http://pagesperso-orange.fr/associationgams/



[1] Marie-Noëlle Arras, Entière ou la réparation de l’excision, Editions Chèvre-feuille étoilée, collection « D’un espace, l’autre », 2008. Ces informations sont essentiellement issues de la section « En savoir plus » (p. 81-115).

[2], Ibid.,  p. 52.

[3] Ibid., voir les pages 84 et 85 pour les définitions précises.

[4] Ibid., p. 16.

[5] Ibid., p. 45.

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20 janvier 2008 7 20 /01 /janvier /2008 23:03

« Besoin d’une nouvelle Afrique, d’un nouvel humanisme » (Nocky Djedanoum)


L’équipe de La Plume francophone a pu assister en décembre 2007 à la 15ème édition du festival des arts et médias africains, qui se tient à Lille chaque année, à l’initiative de l’auteur d’origine tchadienne Nocky Djedanoum.

 

Cette année, après l’opération « Rwanda : écrire par devoir de mémoire » (1998-2000), qui avait permis à une dizaine d’auteurs africains francophones de se rendre au Rwanda en résidence  d’écriture, afin de permettre et assurer la transmission du génocide des Tutsi du Rwanda, le festival lance une opération en faveur du Darfour, via la projet « Voix africaines / Voix universelles (VaVu) pour le Darfour. »

 

Ainsi, le 15 décembre 2007, une journée entière a été dédiée au Darfour à la Maison d’Education Permanente de Lille, réunissant de nombreux articles (musiciens, plasticiens, écrivains), mais également des historiens et des journalistes.


Pour plus d’informations

 

http://www.festafrica.org/

 

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20 janvier 2008 7 20 /01 /janvier /2008 22:57

Chronique, par Virginie Brinker


Les sources historiques du conflit au Darfour

 

Marie-José Tubiana, ethnologue, est directeur de recherche honoraire au CNRS. Ses principaux travaux portent sur des sociétés pastorales et agricoles établies au Tchad et au Soudan, notamment les Zaghawa. Sa communication s’est avérée fort précieuse pour saisir les implications historiques et politiques de la crise au Darfour.

Le Darfour est un immense territoire, grand comme la France, situé à l’Ouest du Soudan et peuplé de 7 millions d’habitants environ, arabes ou africains, mais tous musulmans. Après avoir longtemps été un sultanat indépendant, le Darfour est rattaché au Soudan anglo-égyptien par les Anglais en 1916. Comme ni les colons anglais, ni le gouvernement central soudanais de Khartoum (à partir de 1956, date de l’indépendance) n’y ont investi, le région a été délaissée, devenant très périphérique. Marie-José Tubiana mentionne les 150 km de routes seulement qui la parcourent. On peu y ajouter le faible nombre des enseignants et médecins.

A partir des années 1970, la sécheresse réduit le nombre de terres cultivables, ce qui entraine des conflits entre les agriculteurs sédentaires majoritaires dans les tribus africaines darfouri (tels les Four, les Masalit, les Birgit…), et les éleveurs nomades, surtout arabes mais pas seulement. La terrible famine de 1984 fait 90 000 morts dans l’indifférence du gouvernement central et les rapports entre éleveurs et pasteurs se tendent d’autant plus. Ce drame accélère la prise de conscience des élites four qui réclame un partage des richesses plus équitable au Soudan. Le gouvernement soudanais arme alors les nomades, jugés plus fidèles. Durant les années 1980, les tensions s’accumulent donc au Darfour. D’autant que la province sert de base-arrière à la guerre civile au Tchad. Différents groupes rebelles y trouvent refuge et y recrutent, et c’est à partir du Darfour qu’Idriss Déby s’empare du Tchad en 1990.

En 2003, après les vingt années de guerre civile entre le Nord (musulman) et le Sud du Soudan (chrétien et animiste), les négociations entre le Mouvement Populaire de libération du Soudan de John Garang (réclamant un partage des richesses nées du pétrole et l’abrogation de la charia, la loi islamique) et le gouvernement de Khartoum sont sur le point d’aboutir. Les militants du Darfour veulent alors s’inviter au partage, par les armes. Marie-José Tubiana rappelle toutefois que si la « rébellion » au Darfour est officialisée en 2003, elle a pris naissance dès 1987.

Or, le Darfour, entièrement musulman, est considéré par le gouvernement comme une partie intégrante du Nord du Soudan. Pour mater l’insurrection, Khartoum va donc utiliser une méthode éprouvée pendant la guerre civile au Sud-Soudan : la constitution de milices tribales, surnommées les jenjawid ou janjawid, c’est-à-dire les « démons armés à cheval », désignant à l’origine les bandits de grand chemin. Ces milices sont recrutées parmi les petites tribus arabes pauvres ne disposant pas de terres, mais aussi parmi les criminels de droit commun, quelques tribus africaines, dont les Tama et même des mercenaires arabes étrangers venus du Tchad, du Niger ou de Mauritanie.

Enfin, pour priver la « rébellion » dominée par les Four et les Zaghawa de tout soutien de la population, au début de l’été 2003, le gouvernement entreprend une vaste opération de « nettoyage ethnique ». Les raids des milices sont précédés des bombardements de l’armée soudanaise, les milices ont ordre de tuer tout le monde. L’artisan de cette politique est Ahmed Haroun, secrétaire d’état soudanais aux affaires humanitaires et par conséquent protégé par le régime, alors que la Cour Pénale Internationale l’a inculpé.

Depuis 2003, on compte au moins 200 000 morts, énormément de villages détruits et environ 2 millions de déplacés. Marie-José Tubiana rappelle le rôle fondamental des 600 km de frontière entre le Tchad et le Soudan, le long desquels s’amassent « rebelles » et déplacés du Darfour, mais aussi rebelles du Tchad. Ces propos seront complétés un peu plus tard par le porte-parole des associations Abéché-Oise et Tchad-Oise, médecin humanitaire et originaire de la région frontalière, se définissant comme « un Tchadien du Darfour et un For du Tchad ».

            Dans un second temps, Marie-José Tubiana, présente son livre Carnet de routes au Dar For, publié en mars 2006 aux éditions Sépia. Elle y narre son expérience du Darfour dans les années 1960-1970, c’est-à-dire le Darfour d’avant la guerre. Il s’agit de son journal d’ethnologue de l’époque, sans doute le meilleur moyen de rendre hommage à ces populations décimées et de témoigner de leurs vies.

 

Les enjeux géopolitiques du conflit

Un texte extrait de Darfour, au-delà de la guerre d’Alexandre Diméli, journaliste au Messager (Cameroun) est ensuite lu, en particulier un chapitre intitulé « Des enjeux souterrains ». Il rappelle le rôle de premier plan joué par la Chine dans le conflit. En effet, depuis le début de la crise au Darfour, la Chine soutient le gouvernement soudanais, en lui vendant des armes notamment. Il faut dire que Pékin achète les 2/3 du pétrole soudanais et que le Soudan apparaît comme un axe de pénétration majeur en Afrique pour la Chine. Les USA, eux, adoptent la stratégie inverse, intérêts pétroliers obligent, et selon le journaliste, il ne faut donc pas se fier au discours humanitaire des Etats-Unis.

 

La parole aux victimes

Issa Tahar Abderaman, président de la communauté darfouri de France, prend ensuite la parole. Il vient du Darfour, a 26 ans et vit à Arras. Il y a trouvé refuge en 2004 grâce à l’Association du Bon Samaritain, créée par le révérend Jean-Marie Matadi Ngazuba, un évangéliste originaire du Congo qui l’a recueilli. Mais ce n’est pas son témoignage personnel que raconte Issa Tahar. Il tente à son tour de contextualiser le conflit, évoque les villages détruits, les viols, les tueries. Il dénonce à plusieurs reprises le rôle joué par Ahmed Haroun, le secrétaire d’Etat soudanais aux « affaires humanitaires ». Le révérend du Bon Samaritain rapportera ensuite la violence des autres témoignages, son association ayant accueilli 600 Darfouri. Il s’insurgera également contre le terme de « rébellion » pour qualifier l’insurrection au Darfour, et préfèrera parler de « Résistance », Issa Tahar ayant pris soin de rappeler les légitimes revendications des Darfouri.

 

 

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20 janvier 2008 7 20 /01 /janvier /2008 22:32

Chronique, par Circé Krouch-Guilhem



Jérôme Tubiana,
un des intervenants de la journée du samedi 15 décembre, journaliste et photographe indépendant, va régulièrement au Darfour depuis 2004. En tant que photographe et journaliste, il avait commencé à travailler à partir de 1997-1998 sur la région s’étendant du Tchad à la Somalie. De son travail sont nés Les Contes Toubou du Sahara, contes recueillis au Niger et au Tchad, et publiés aux éditions L’Harmattan en septembre 2007.

Lorsque le conflit a éclaté au Darfour en 2003, il était au Tchad, près de la frontière soudanaise. Il a voulu à ce moment proposer des reportages aux médias occidentaux qui, il l’a beaucoup déploré lors de son intervention, se sont désintéressé du sujet, ne le trouvant pas assez porteur. C’est contacté par une ONG, Action contre la faim qui, pour clarifier sa mission dans ce conflit voulait tout d’abord le comprendre, le décrypter, qu’il est donc allé une première fois au Darfour en automne 2004. Il a pu se rendre compte que paradoxalement, le Darfour était plus ouvert depuis la guerre via les ONG et les médias. Pour son premier voyage, il a voulu y être introduit par le biais d’anciennes connaissances de ses parents qui y ont travaillé en tant qu’anthropologues (sa mère préfère l’appellation d’« ethnologue »), y ont effectué des missions de recherche assez longues entre 1965-1970. Cette expérience particulière lui a permis de « prendre la mesure du passage de l’Histoire », il a été étonné de voir comme ces personnes ou leurs enfants se souvenaient de ses parents[1]. Guidé par la volonté de « faire sentir plus que de faire comprendre » le Darfour dans ses écrits, il préfère sortir d’une simple description médiatique, et travailler alors plus sur l’intime et le particulier, pour pouvoir ensuite exprimer des vues plus générales ; ce que reflètent parfaitement son exposition et son projet de livre sur le Darfour.

En effet, depuis le 20 octobre 2007, et ce jusqu’au 27 janvier 2008, son exposition « Darfour, généalogies d’un conflit[2] », au Centre du Patrimoine Arménien, à Valence, dans la Drôme, retrace l’histoire et le quotidien des habitants du Darfour avant et pendant la guerre. Elle s’intéresse à tous les groupes ethniques et privilégie l’analyse des raisons politiques, économiques et historiques du conflit, exprimant ainsi la volonté de son auteur de dépasser les clichés et idées reçues sur une crise désormais très médiatisée. Jérôme Tubiana a exprimé à Fest’Africa, le vœu de voir cette exposition se déplacer à travers la France.

Il a profité de son intervention pour exposer son projet de livre qui combine un travail sur le texte et sur les images. Ainsi il nous a présenté un diaporama de photographies qu’il a pris le temps de commenter[3]. Il a déploré, comme un certain nombre d’intervenants et de membres du public du festival par la suite, le manque d’intérêt des éditeurs pour son projet (un livre comme celui-là coûte cher et son contenu n’intéressera peut-être pas un public assez large pour rentabiliser son coût d’édition).

Très déçu par les propos occidentaux tenus sur le Darfour, qui simplifient à outrance ce conflit et en imposent une vision manichéenne, il se bat depuis 2004 pour exposer un panorama « juste » de la situation. Il nous a enjoint à la fin de son intervention à aller lire, datée du 9 juin 2007, sa réaction aux propos de Bernard-Henry Lévy parti en reportage au Darfour pour Le Monde qui en a rapporté « choses vues au Darfour » dans son édition du 13 mars 2007. La réaction de Jérôme Tubiana, intitulée « Choses (mal) vues au Darfour » qui n’a pas pu être publiée dans Le Monde, l’a été sur le site de Mouvements[4]. Il y dénonce avec grand renfort d’arguments, et en rétablissant une certaine vérité, le peu d’exactitude des renseignements fournis par BHL qu’il s’agisse des lieux où il s’est rendu ainsi que des personnes rencontrées. Les lieux sont mal nommés, mal situés, son discours est teinté d’exagérations et d’approximations qui rendent compte de sa crédulité vis-à-vis du manichéisme ambiant (celui pratiqué par les médias occidentaux ainsi que par certains groupes internes au conflit), et traduit une position inconséquente quant aux propositions de résolution du conflit.

Sur le site de Mouvements également, nous pouvons retrouver l’interview de Jérôme Tubiana par Florence Brisset-Foucault, daté du 9 juin 2007[5] qui explicite les origines historiques, politiques et économiques du conflit, d’une manière très similaire à ce qu’il a pu dire lors de son intervention à Fest’Africa. Fort d’une très bonne connaissance des groupes ethniques et des événements qui ont eu lieu depuis les années 1980, il distingue plusieurs phases du conflit. Il explique que s’affirme une tendance depuis le début de la guerre à la bipolarisation du conflit mais qui ne peut être considérée comme effective. On ne peut nier une certaine cristallisation ethnique, des identités « arabes » et « non-arabes », mais il est important de dire que certains groupes résistent encore à cette tendance. Jérôme Tubiana lors de son intervention a insisté sur le fait que le décompte des morts, surestimé de manière générale, n’est pas le meilleur vecteur de compréhension de l’ampleur du conflit.

Nous terminerons ce compte-rendu sur deux citations de Jérôme Tubiana[6] qui rendent compte de manière très synthétique et complète de la situation au Darfour, et de ses positions quant aux possibilités de résolution des conflits :

« Il faut distinguer d’une part la guerre du Darfour, et de l’autre, l’affrontement entre les deux Etats par l’intermédiaire de groupes rebelles et de milices. C’est ce dernier conflit qui entraîne aujourd’hui une contamination du sud-est du Tchad par des affrontements semblables à ceux du Darfour, avec des attaques de villages par des milices locales qu’on appelle aussi « Janjawid » alors même qu’elles ne viennent pas toutes du Soudan et ne sont pas uniquement composées d’Arabes. La communauté internationale et les médias, ont une vraie responsabilité du fait de l’analyse simpliste qu’ils conduisent de ce conflit tchadien comme d’un pur conflit entre « Africains », donc indigènes, et « Arabes », forcément étrangers. Le risque de cette simplification, c’est justement le transfert d’un conflit global arabe/non arabe du Darfour vers le Tchad. Idriss Déby a très bien su rebondir sur la simplification médiatique en se posant en victime d’une tentative d’arabisation. C’est une façon pour lui de masquer les problèmes internes du Tchad, à commencer par l’absence de démocratisation. »

« Ce n’est pas un conflit que l’on résoudra par une force de maintien de la paix. Il faut arrêter de voir le conflit du Darfour comme la simple succession d’attaques de milices armées contre des civils. C’est un conflit entre un gouvernement qui a essuyé des défaites et a répondu par la violence, et une rébellion très efficace, mais qui n’a pas gagné la guerre et ne peut aujourd’hui prétendre renverser le gouvernement. Il n’y a pas d’autre solution que de relancer un processus politique. »



[1] Vous trouverez dans une interview de Jérôme Tubiana pour le magazine Géo, n°322 de décembre 2005, concernant sa mission au Darfour, en substance ce qu’il a pu dire lors de son intervention au festival : http://www.geomagazine.fr/contenu_editorial/pages/geo_magazine/plus_loin/archives/Decembre_05/plus_loin.php

[2] Vous trouverez l’affiche de l’exposition à cette adresse : http://www.patrimoinearmenien.org/actualitemainframe.htm

[3] Vous retrouverez certaines de ces photographies à ces adresses : http://www.lesnouvelles.org/P10_magazine/40_forum/40006_8heuresLNA-0606/002_jerometubiana/0020.html (travail jusque 2005), les plus récentes à celle-ci, elles sont en partie celles présentées à son exposition : http://noravr.blog.lemonde.fr/2007/12/12/lexposition-de-jerome-tubiana-darfourgenealogie-dun-conflit/

[6] Ibid.

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