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La Plume francophone présente et analyse les littératures francophones à travers des études par auteurs et par thèmes.

Inauguration de la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d'Algérie

 

Chronique

 

 

 

Inauguration de la Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie à l’Hôtel des Invalides (Paris), le 19 Octobre 2010

 

« Les guerres mémorielles de l’entre-soi français »

 

Par Célia SADAI

 

 

 

 

En l’espace de quelques semaines, une série de coïncidences postcoloniales a émaillé l’actualité. Au cinéma, on peut voir depuis le 22 septembre le très controversé Hors-la-loi de Rachid Bouchareb. Le 27 octobre, c’est la Vénus noire d’Abdellatif Kechiche qui s’affiche sur les écrans. Deux réalisateurs originaires du Maghreb. Deux films qui racontent l’Histoire de la France impériale et coloniale, et renvoient notre nation à ses mauvais démons : des zoos humains à la guerre d’Algérie.

 

Pour ceux qui ont opté pour la ballade dans Paris, on pouvait y rencontrer des hommes, commémorant. Tout d’abord, les Harkis (et supplétifs de l’armée française en Algérie) profitaient de leur journée nationale le 21 Septembre. En attendant que Nicolas Sarkozy reconnaisse officiellement l’abandon de la situation harkie par l’Etat. Le 17 octobre, d’autres (du MRAP à la LDH) se sont rassemblés pour commémorer les « Massacres du 17 octobre 1961 », date des violentes répressions contre les manifestants algériens du FLN. Le 24 octobre, on apprend le décès de Georges Frêche, harki-friendly montpelliérain, fustigé pour ses « dérapages » incivils.

 

Le 19 octobre, enfin, d’autres hommes s’étaient réunis à l’Hôtel des Invalides, cette fois non pour commémorer, mais pour inaugurer. Hubert Falco, secrétaire d’Etat aux Anciens combattants, a présenté au public la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, et présentée par François Fillon en 2007 en ces termes :

Nous avons besoin d’une réconciliation sincère des mémoires, d’un apaisement véritable des esprits et des cœurs. Une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie sera créée à cet effet en 2008. Ces questions lui seront confiées. Des historiens indépendants effectueront ce travail. [1]  

 

Ainsi, Hubert Falco inaugure la Fondation avec lyrisme : il s’agit de  « cicatriser les plaies de l’Histoire […] par un travail de mémoire et d’Histoire indépendant, exhaustif, rigoureux qui n’exclut personne et n’évacue aucune question. » [2]

 

Pourtant, la Fondation peine à asseoir sa légitimité, et divise plus qu’elle ne fédère. Prévue par l’article 3 de la loi du 23 février 2005, portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » (et donc de ces derniers exclusivement), elle ravive les controverses de l’époque alors cristallisées autour de son l’article 4 qui portait sur « le rôle positif de la colonisation »[3].


.  

Loi mémorielle et scepticisme historique

 

Le premier malaise porte sur l’objectif « mémoriel » de la Fondation. Elle est toujours dépourvue de conseil scientifique, et les historiens la boycottent arguant de la phrase de Pierre Nora : « La mémoire divise, l’Histoire rassemble » et appellent de leurs vœux une approche scientifique – donc historique – du débat, comme l’affirme Sylvie Thénault :

 

Si on a besoin d’un travail sur la guerre d’Algérie, c’est plus d’un travail d’Histoire […] On peut décider de ne pas travailler à partir de témoignages. […] Si on est orienté par le débat public, c’est biaisé. [Les historiens] peuvent même […] travailler sur des questions totalement oubliées, […] considérées comme marginales par des témoins ayant vécu la période qu’ils étudient ou par des groupes porteurs de mémoire. [4]


Benjamin Stora va plus loin, et fustige en filigrane l’irresponsabilité des politiques : d’autant que sur la scène mémorielle française, on n’en est pas au premier cas d’ « ingérence législative » :


L’urgence pour moi passe par des commissions mixtes d’historiens entre les deux peuples mais pour ça il faut un travail de pédagogie très long pour regagner la confiance. Pour obtenir cette confiance sur le plan politique, culturel et idéologique… ça prend du temps, on ne peut pas décider par en haut de la conduite disons d’une affaire aussi grave, aussi importante. […] Et je crois plus à des commissions du type réconciliation de vérités historiques par exemple, qu’à des fondations de mémoire car des fondations de mémoire c’est bien, mais ça ne fait pas avancer les questions de réconciliation mémorielle. [5] 

 

L’autre malaise est relatif à l’exclusivité mémorielle de la Fondation, destinée aux seuls anciens appelés de l’armée française en Algérie, Harkis et autres formations supplétives de l’armée, et Pieds-Noirs – c’est que l’on comprend de l’intervention d’Hubert Falco :


Aujourd'hui, ces hommes qui ont servi dans le bled ou le djebel sont à l'âge où l'on revient sur sa propre vie. Les souvenirs reviennent. Parfois des souvenirs très douloureux. […] La première réconciliation des mémoires, c'est celle-ci : réconcilier ces hommes qui ont servi sous nos couleurs avec leur propre passé. […] Le drame des Harkis, le drame des rapatriés d'Algérie font partie de notre mémoire nationale.[6]


Une telle orientation partisane scandalise[7]. On ne mentionne à aucun moment les Français d’origine algérienne, dont la mémoire de la guerre est aussi douloureuse et parmi lesquels certains ont défendu « nos couleurs » jusqu’en Indochine… Que reste-t-il du projet annoncé de « parcourir ensemble ce chemin de mémoire, celui de toutes les mémoires qui n’occulte aucune mémoire »[8] ? C’est là le paradoxe sur lequel on a pensé cette Fondation « pour la réconciliation des mémoires » mais « dirigée par les rapatriés pour les rapatriés » [9], et excluant de fait la mémoire algérienne de bien d’autres Français.

 

Sa gouvernance est révélatrice : son président, Claude Bébéar, est un  homme d’affaires et ancien appelé en Algérie. Son conseil d’administration se compose de trois associations d’anciens combattants qui allouent 4m€ sur les 7,2 m€ de financement, le solde de 3m€ étant apporté par l’Etat. Même les Harkis et les Anciens combattants (représentés par la FNACA), les premiers visés en théorie, ne siègent pas.

 

Pour Jean-Charles Jauffret, l’intention électoraliste de la Fondation est indiscutable : « Avec la Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie, on va fortifier les ultras. En ligne de mire, il y a évidemment l’élection présidentielle de 2012 ». Issue d’une loi électoraliste, la Fondation manipule les revendications des Harkis, et « [flatte] le lobby encore actif des nostalgiques de l’Algérie française, proches du Front national. » [10]

 

Sylvie Thénault est sur la même ligne : « On fait un cadeau aux nostalgiques de l’Algérie française. Promouvoir l’œuvre française outremer, c’est une façon de flatter des penchants nationalistes qui permettent d’engranger des voix sur la droite de l’UMP » [11].

 

 

La guerre muséologique

 

« La France souffre de son histoire » déplorait Nicolas Sarkozy dans son discours de Nîmes[12], justifiant ainsi  la création d’un nouveau lieu, la Maison de l’Histoire de France, qui s’installerait d’ici 2015 aux Archives Nationales[13], dans le cœur de Paris.

 

L’annonce est faite lors du discours des Eyzies, en septembre 2010 et les historiens s’insurgent. Ils apparentent le lieu à «  la vitrine historique de l’identité nationale », dépourvu de toute réflexion pédagogique. De plus, chacun s’étonne du projet à l’heure de la construction européenne et d’une mondialisation massive : comment un tel « mausolée du roman national » peut-il inscrire l’ensemble des citoyens français dans leur historicité ? Faut-il comprendre en creux que la Cité de l’immigration, installée en périphérie de Paris, cible quant à elle les citoyens de seconde zone évincés de la Maison de l’Histoire de France ?

 

En 2001, Daniel Hémery démissionne du comité scientifique du Mémorial de Marseille qui selon lui « ne sera pas une institution de connaissance de l’histoire, mais une institution organisatrice de sa méconnaissance. » Il précise que « la notion d'outre-mer n'a été que la version néocoloniale de l'Empire colonial [14].». A Perpignan, le comité scientifique a démissionné du Centre de la présence française en Algérie, et Georges Frêche s’emporte : « Rien à faire des commentaires d'universitaires trous du cul. On les sifflera quand on les sollicitera.».

 

La surenchère mémorielle va plus loin, et toujours dans le même sens. Trois projets de musées, consacrés à la présence française en Algérie, ont été lancés dans le Sud par des élus et des associations pieds-noires : à Marseille : le Mémorial National de la France d’Outre Mer, à Perpignan : le Centre de la présence française en Algérie, à Montpellier : le musée de l’Histoire de la France en Algérie[15] – auxquels vient s’ajouter la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie à Paris.

 

Aucune de ces institutions ne s’est encore dotée d’un conseil scientifique, et chaque initiative suscite l’indignement des historiens (site de la LDH, Le Monde). En 2007 à Perpignan, le Cercle des Algérianistes de France inaugure Le Mur des Disparus : quels noms y seront honorés ? Quid des dizaines de milliers de Harkis, également disparus?

 

Ce mur risque de réactiver la guerre des mémoires, s’inquiète Éric Savarese. D'abord parce qu'il ne mentionne les morts que d'un seul côté. Et aussi parce que sur ce mur vont forcément être inscrits le nom d'anciens meurtriers de l'OAS. De la sorte, les descendants des victimes de cette organisation criminelle se sentiraient légitimement insultés. [16].

 

Cette inégalité de traitement est habilement légitimée par Nicolas Sarkozy sur le plan sémantique. Reconnaissance bienvenue pour les uns :

 

Vous êtes les descendants de celles et ceux qui, dès le début du 19ème siècle ont contribué à l’essor économique de l’Afrique du Nord. La France leur avait demandé d’assurer son rayonnement par delà les mers. Sa grandeur, notre pays la doit aussi à ces femmes et à ces hommes, témoins et acteurs d’une œuvre civilisatrice sans précédent dans notre histoire[17]

 

 Repentance honnie pour les autres :

 

Je déteste la repentance parce qu’on n’a jamais envie de s’intégrer à ce que l’on a apprit à détester alors qu’on devrait le respecter et l’aimer. Voilà ma vérité ![18] 

 

Ainsi il y a d’un côté les français dont la mémoire est flattée et qui se voient ériger des mausolées, et d’autres citoyens qui devraient assimiler une identité nationale qui ignore leur Histoire. Comme le déplore Pascal Blanchard :  

 

Le rejet de la repentance, cher à Nicolas Sarkozy, et avec lui la réhabilitation du passé colonial, servent une nouvelle affirmation de l'identité française.[19]

 

Mémoires ou Histoire ? Repentance ou reconnaissance ? Identité française ou identités des français ? Ces distinctions d’apparence anodine joueront un rôle essentiel dans la façon dont on choisira d’éduquer nos enfants. Ceux qui auront la responsabilité de construire ou déconstruire la cohésion sociale, ou le « vivre ensemble » de notre nation.

 




[1]Discours de François Fillon prononcé lors de la Cérémonie d'ommage national aux Harki, le 25 septembre 2007 : http://www.gouvernement.fr/premier-ministre/ceremonie-d-hommage-national-aux-harkis

[2] Intervention de Hubert FALCO lors de l'inauguration de la Fondation, le 19 octobre 2010 : http://www.defense.gouv.fr/sedac/prises-de-parole/fondation-pour-la-memoire-de-la-guerre-d-algerie-des-combats-du-maroc-et-de-tunisie-mardi-19-octobre-2010

[3] L’article 4 avait été déclassé en raison de s on contenu polémique : "Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux scarifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit." 

[4] Sylvie THENAULT, « Contre l’article 3 », in C. LIAUZU et G. MANCERON (dir.), La colonisation, la loi et l’histoire, mars 2006, Ed. Syllepse.

[5]Interview de Benjamin STORA, sur Arte TV, octobre 2010 : http://videos.arte.tv/fr/videos/interview_de_benjamin_stora-3490434.html

[6]Hubert FALCO : voir note [2]

[7] Le 5 octobre 2007 Le Monde titrait « Non à une Fondation de la mémoire partisane ». Pour le quotidien, cette loi a rendu hommage à une seule catégorie de victimes (Harkis, anciens appelés, militaires ou civils français) en ignorant et passant sous silence d’autres victimes de la guerre d’indépendance.

[8]Hubert FALCO : voir note [2]

[9]Discours de Nicolas SARKOZY : « Harkis : le discours du 31 Mars 2007 », au siège de campagne de Nicolas Sarkozy : http://www.dailymotion.com/video/xb...

[10]Entretien avec Jean-Charles JAUFFRET paru dans Télérama, le 22 septembre 2010.

[11]  Entretien avec Sylvie THENAULT paru dans L’Humanité du 5 octobre 2007.

[12]Nicolas SARKOZY, Discours de Nîmes,disponible sur le site de l'Elysée : http://www.elysee.fr/president/les-actualites/discours/discours.18.html?cat_id=3

[13]N.d.A. Qui seront déplacées à Pierrefitte…

[14]La lettre ouverte de Daniel Hémery est disponible sur le site de la LDH http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1214

[16] http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2065 , Eric SAVARESE, « En finir avec les guerres de mémoires algériennes en France ? ». A noter : en 2008, le tribunal administratif de Marignane avait ordonné le démantèlement d’une stèle érigée par l'association Adimad, à la gloire «des combattants tombés pour que vive l'Algérie française ». En effet, la stèle réhabilitait les héros de l'Organisation, comprendre les morts de l'OAS. 

[17]Extrait de la lettre du 16 Avril 2007, adressée par Nicolas SARKOZY au cours de sa campagne, à Denis FADDA, président du Comité de liaison des association nationales de rapatriés (CLAN-R).

[18]Nicolas SARKOZY, discours au Zénith de Paris du 18 Mars 2007 : http://sites.univ-provence.fr/veronis/Discours2007/transcript.php?n=Sarkozy&p=2007-03-18

[19]Pascal BLANCHARD, http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/____pour_en_finir_avec_la_repentance_coloniale/p10-0.html

 


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