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 Inédit

 

L’originelle poésie francopolyphonique

 

 

Par Daniel MAXIMIN*

 

 

La poésie francophone est poésie d’abord, francophone après-coup, originelle toujours malgré les coups et les à-coups.

Poésie avant tout, car la Francophonie a commencé par une fraternité de poètes, c’est-à-dire par l’essentiel avant le nécessaire.

Première Anthologie en 1947 à Paris : Poètes d’expression française, rassemblés sur quatre continents dès l’après-guerre par leur premier médiateur, Léon Damas. Suivie de celle de Senghor en 1948. Poètes appliqués à mettre leur expression au secours d’un siècle écrasé pour l’heure par les colonialismes et les oppressions mondialisées, tous horizons bouchés entre assignations et aliénations.

L'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de L-S Senghor constitue la première prise de parole collective, dès 1948, de la génération des poètes de la décolonisation. Seize jeunes poètes méconnus alors, reconnus aujourd’hui parmi les plus grands du monde francophone, radicalement différents d’histoire et de géographie, de styles et de traditions, s’étaient rassemblés pour semer des textes libres dans les sillons de l’émancipation, initiateurs ensuite de la décolonisation politique. Entrés en résistance contre les frontières des couleurs et des assignations, les apartheids et les ségrégations, à l’apogée des violences coloniales face aux émeutes de la liberté à Sétif, Hanoi, Abidjan ou Tananarive, juste après la nuit des camps nazis. Acte fondateur d'une francopolyphonie culturelle, rassemblant solidaires les futurs émancipateurs de l'Afrique, des Amériques, et de l’Océan indien. 

Poètes fauteurs de langues, les maternelles et les paternalistes, leur écriture lavant la langue de l'injure et de la lie. Leur langue française ni volée ni violée, ni butin ni rapine, mais délibérément conquise, non comme arme de destruction de l'autre, mais comme outil de recréation du nous pour l’avenir à bâtir sur un socle d’embâcles et de chaos. Sachant, avec et contre Sartre, que l'important n'est pas ce qu'on a fait d'Orphée, mais ce que nous ferons de ce qu'on a fait d'Orphée.

Poètes présents dans tous les coups, contre tous les camps, à contretemps, à contrecoups, aucune libération ne finissant leur liberté, même si bien des poèmes se bâillonnent ou se lassent, brodant face aux récifs des barrières de style contre la surrection de la poésie.

Seize poètes en sentinelle pour offrir les mots de passe aux interdits de beaux jours, poètes de garde pour attiser l'alarme, attentifs au regard du proche, contre toute pensée du propre et du tiers exclu.

Poètes tel le sénégalais Senghor, Ambassadeur du peuple noir entre deux eaux de Sine et Seine, entre tangages et rivages, avec  la patience paysanne des semences à forcer et l’entêtement d’une conjuration de racines.

Poètes tel l'antillais Césaire, insolite bâtisseur de désirades au milieu d'un paradis raté (c'est bien pire qu'un enfer), piroguier de la divagation déchiquetée des îles.

Poètes tel le guyanais Damas : orphelin de racines muettes qui a su renouer le fil des mots perdus sous les pigments et les névralgies.

Poètes tel le Malgache Rabéarivelo: réserve d'anté-néant sur un lit de feuilles aliénées.

Poètes tel le Haïtien  Roumain: écharde dans la blessure des arbres-musiciens.
Seize poètes, modestes indispensables, témoins écrivivants.

La poésie francophone dès sa naissance se fait donc compagne de toutes les résistances aux ruines et aux catastrophes
. Beau sang giclé en graffiti sur les grandes murailles du siècle, initiant des sources pour la soif des naufragés, et des vénéfices contre les naufrageurs.

Expression d’écritures d’abord et avant tout, dans une langue française se libérant par et pour elles – comme en toute poésie – des asservissements géopolitiques, des distances géographiques, des contraintes historiques, et des grammaires jacobines. Expression de poètes édifiant de solitaires poétiques sans fondements assurés, colporteurs de révoltes sans visas se donnant le droit d’ingérence sur toutes les routes barrées par les silences du monde, lavant la langue salie par l’injure et la lie. Du reflux des empires coloniaux jusqu’à en nos jours l’empire de la mondialisation.

La poésie n’a pas affaire à la promotion des langues, ni à leur concurrence. Elle emporte toute langue dans la combustion de sa norme par l’oxygène naissant, jusqu’au surgissement de langages inédits coulés en laves d’écritures. 

Défense et Illustration par la langue française d’une Renaissance décolonisée. La langue ni volée ni violée, ni butin ni rapine, mais délibérément héritée sans testament, épousée sans dot comme disait Gracq, non comme arme mais comme outil de reconstruction, de recréation pour l’avenir à bâtir sur un socle d’embâcles et de chaos. Poésie de rapailleurs des raqués de l’histoire tel Miron, travaillant comme Chappaz à des œuvres qui respirent à hauteur d’Alpes, d’Atlas et de volcans, au suivi de l’oiseau remonté du trou noir pour exiger avec Césaire l’inventaire de ses plumes dispersées.

 

Poésie d’emblée désaliénée pour se faire désaliénante, esthétiques forcément libérées par nécessité éthique de libération, assumant l’angoissante échappée aux sentiers balisés de la tradition ou de la sujétion, sans exotismes d’agrément.  Les aujourd’hui francophones n’ont jamais eu le loisir nostalgique du jadis et naguère.

 

Poésie inclassable donc, irréductible à un genre, une école, une caste, une race une classe, internationale sans congrès ni décret, par simple cousinage avec tout étrange étranger, tout poème éperdu sans carte dans la langue partagée qui l’accueille sans truchement. Poésie en sentinelle pour offrir les mots de passe aux interdits de beaux jours, attentive au regard de l’hôte, en son beau double sens français, poignée de mains lucidement offertes, blessées de coups de poings mais ouvertes, au sens où Celan définissait le poème comme une poignée de main.   

Poésie francophone nourrie de langages scindés, partout confrontée aux bilinguismes, hors la loi des langues prescrites, les maternelles ou les paternalistes, poésie d’écritures tramées entre propre et brouillon, entre l’interdit et le décrété, et d’arrachement à toute pensée du propre, travaillant la fière impropriété de toute écriture recréée contre les prosaïsmes des vies filtrées.

 

Poésie tout autant cousine d’une tradition française d’ouverture au proche de fauteurs de langue depuis Rabelais et Montaigne, sachant avec Proust que les beaux livres sont écrits dans une langue comme étrangère, revendiquant avec Deleuze, Derrida ou Cixous aujourd’hui d’être dans sa propre langue comme un étranger, d’accepter d’être dans un usage mineur de toute langue majeure pour échapper à toute littérature de maîtrise des Lettres et des êtres. Aller jusqu’où son style ne puisse plus suivre, dans le voisinage francofaune du barbare de Michaux.

 

Beaucoup aussi de morts trop tôt en un demi-siècle avant l’âge de désespérer : de Rabéarivelo à Djaout et Labou Tansi, battants abattus ou usés pour avoir inlassablement attisé l’alarme à l’image de Bencheïkh. Poètes présents dans tous les coups, contre tous les camps, à contretemps, à contrecoups, aucune libération ne finissant leur liberté, même si bien des poètes se bâillonnent ou se lassent, avec aussi le lot de boursoufleurs en postures, brodant face aux récifs des poèmes sans poète, parant leur style contre la surrection de la poésie.

Beaucoup de rires aussi, poésie de sylphes lutinant les emphases francophonistiques, grattant les décorums parnassiens, à dada sur tous les manifestes, en fils indignés des paternités surexposées.

Poésie souvent aussi discrète, élisant avec Chappaz la solution confidentielle, à l’écart des babillages et des palmarès, poésie qui chuchote aux oreilles avisées les silences entendus des nigromancies. Poésie d’âmes morcelées, confondues d’enfance et d’Eden, angoissées d’écrire sur le chemin qui mène du silence au bégaiement des langues de trop. On s’endort un, on se réveille dédoublé, écrit Malcolm de Chazal, et ajoute Depestre : destin crucifié entre espoir et nostalgie par l’état de poésie.

Poésie par chance parfois encore veilleuse à l’heure des soleils tendres de minuit, de la nuit féminine pour les corps de maïs.

Poésie de pays scindés entre l’exil et le natal, qui dans l’angoisse ou le badinage, invente les mots de passe des frontières et des altérités, pour dépasser les horizons par le haut, comme au Liban la femme-oiseau Tuéni s’envole avec son nid, comme en Haïti le poète Roumain élève la danse du poète-clown, ou comme Senghor le dyali à hauteur d’outre-ciel.

Poésie qui recueille d’une fructueuse verrition de la langue les miettes de toute parole arrachées aux bouches décousues.

  

Poésie francophone orpheline de filiations, improvisant ses fraternités, et dont le cadastre s’étend aujourd’hui sur tous ses marchés à travers les continents : de Redu à Saint-Sulpice, de Jacmel à Oran, de Pointe-À-Pitre à Balma, de Beyrouth à Bucarest, de Montréal à Ouaga, de Basse-Pointe à Soleure. Du proche au proche, négligeant les exotismes et les décors trop beaux pour la lucidité. La terre tout entière nous appartient, avait déclaré Breton au pays-Martinique d’Aimé Césaire en découvrant dans son paysage et sa poésie les rêves surréalistes enfin enracinés. Poètes de nulle part, d’ici et de toute part, c’est nous qui appartenons à la terre entière, lui confirment en écho les flamboyants, les balisiers, les banians, les bouleaux, les saules, les flaches et les thyrses et tous leurs fils et filles, leurs fruits en poésie, rassemblés sous l’injonction de l’aîné Malcolm de Chazal : Il y a mille aujourd’hui, un seul hier ; et autant de demains que d’espérances et de désirs !



* Ecrivain. Lire l’article par Victoria Famin « Si la Caraïbe était un animal, elle serait le colibri » (http://la-plume-francophone.over-blog.com/article-23595770.html) et la biographie de l’auteur (http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/maximin.html).

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