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10 octobre 2007 3 10 /10 /octobre /2007 00:11

Nancy Huston est une musicienne et écrivain canadienne anglophone et francophone, née en 1953 à Calgary, qui vit à Paris depuis plus de trente ans. Son œuvre est particulièrement riche, composée d’essais, d’écrits pour la jeunesse, de correspondances, signalons ici notamment celle suivie avec Leïla Sebbar[1] : Lettres parisiennes : autopsie de l’exil, parue en 1986, ouvrages auxquels s’ajoutent plus d’une dizaine de romans dont les plus connus sont Les Variations Goldberg paru en 1981, Cantique des plaines en 1993, La Virevolte en 1994, Instruments des ténèbres en 1996, Une adoration en 2003, le dernier Lignes de faille, qui a reçu le Prix Femina 2006.

 

[1] Retrouvez notre dossier sur Leïla Sebbar : http://la-plume-francophone.over-blog.com/categorie-986813.html

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10 octobre 2007 3 10 /10 /octobre /2007 00:10

Nancy Huston & Valérie Winckler, Visages de l’aube 
par Circé Krouch Guilhem

 

 

Visages-de-l-aube.jpgVisages de l’aube est une œuvre double dans laquelle le littéraire et le photographique se répondent, se nourrissent l’un l’autre, apparaissent comme deux versants de la même histoire : celle de l’arrivée à la vie. Visages de l’aube est une œuvre très peu connue qui gagne véritablement à être lue, et qui met en valeur l’importance et la richesse du premier regard des nouveaux-nés, à la fois dans le texte de Nancy Huston, les photos et le court texte de Valérie Winckler. À ce titre, il est significatif de voir comment notre regard se métamorphose, s’aiguise à la lecture des photographies, après la lecture du texte.

L’acuité, la sensibilité visuelle analytique des deux auteurs sont mises en valeur dans le texte de Nancy Huston. Chaque description, chaque image ou représentation textuelle des bébés au moment de leur mise au monde par Mme Armande a son pendant photographique.

Nancy Huston choisit de mettre en scène une nuit de garde à la maternité de Mme Armande, sage-femme confirmée et toujours aussi émerveillée par la venue au monde de l’enfant, par son premier regard, mystérieux et intelligent. Cette dernière pense parallèlement à la formulation délicate d’une lettre destinée à son fils qui s’écrit au fil de cette quotidienneté nocturne, en lien ou en rupture avec elle : « Lys est morte. […] A tout prix Mme Armande doit trouver les mots velours les mots satin les mots fleurs parfum musique pour entourer cette phrase au moment où son fils la lira[1]. ». Le récit est une superposition de deux monologues intérieurs tous deux issus de Mme Armande : la lettre, distinguée typographiquement, mise en valeur par l’italique, est prise en charge exclusivement par Mme Armande, et le récit au départ principal de la nuit de Mme Armande à la maternité émane tantôt directement de Mme Armande tantôt du narrateur omniscient, les frontières sont floues. Cette complexité narrative ne rend pas pour autant difficile la lecture du texte : l’entrelacement des deux récits est fluide, le premier est nourri des morceaux de la lettre que Mme Armande rédige intérieurement pour son fils Robin. La lettre apparaît alors peu à peu comme le moteur de la saisie analytique, du moins intelligente de ce quotidien et de l’inscription dans la vie : elle annonce le suicide d’une jeune femme, Lys, qu’elle a été la première à avoir vue vivante mais également morte.

 

Ils me poursuivent ces jours-ci, mon chéri, les visages de la nuit. Tous ont le regard de Lys à la naissance : étonnamment sûr et souverain. Puis leurs traits se figent et se durcissent, se font accusateurs : ce sont de minuscules magistrats sans complaisance, leurs yeux nous transpercent et nous jugent… Ils ont raison ; on l’a trahie notre Lys, tous autant que nous sommes[2].

 

Plus encore que la venue au monde, qui devient alors un prétexte, la culpabilité est une thématique centrale du récit, elle est le fil directeur du récit et lie les deux textes qui le composent. Ce lien est explicitement mis en évidence vers la fin du récit dans sa lettre à Robin  par rapport à la mort de Lys qu’elle avait mise au monde dix-sept ans auparavant,: « J’aurais dû… j’aurais pu… on se le dit toujours après, quand c’est trop tard[3]. ». La culpabilité transparaît d’abord dans l’insistance de Mme Armande à poser la supériorité des nouveaux-nés sur les adultes. Tout au long du récit elle prie Dieu d’abord, puis les bébés de pardonner les adultes car « ils ne savent pas ce qu’ils font ». Cette culpabilité de plus en plus ressentie, elle tente de la soulager dans son travail quotidien, en accordant toujours une importance fondamentale au contexte humain et médical de chaque naissance, de chaque début de vie. Mme Armande très sensible, attentive à la réaction des parents vis-à-vis de l’enfant qui vient de naître et à leur manière d’être, adresse une prière intérieure pour chaque enfant.

 

S’ils savaient ce qui les attend, les pauvres petiots ! poursuit-elle tout bas, arrivant place d’Alésia et contemplant les clochards endormis sur les bouches d’aération près de l’église. L’alcoolisme, la pauvreté, les contraintes, les coups, l’école, les instituteurs méchants, les camarades méchants, la peur, les cauchemars, le froid, la guerre… peut être retourneraient-ils là d’où ils viennent […] Ils débarquent tous avec ce regard grave et sans illusions. Personne ne me convaincra du contraire. Ils naissent sachant[4].

 

Mais si la culpabilité est une thématique majeure, Mme Armande place son espoir dans la perfectibilité absolue de l’homme, et surtout dans celle de chacun. Elle se positionne ainsi contre un certain déterminisme, elle veut croire que le déterminisme n’est pas un facteur absolu. Et c’est ce qui nourrit son rapport complexe à la vie puisque la naissance reste profondément un miracle :

 

En trente ans, elle a mis au monde des milliers, non, des dizaines de milliers de bébés, toute une ville de bébés, un mini-Paris avec ses bourgeois et ses ouvriers, ses cadres et ses balayeurs des rues… […] elle n’est pas blasée, loin de là ; encore maintenant, elle vit chaque naissance comme un miracle[5].

 

Nous retrouvons dans cette œuvre de Nancy Huston l’importance qu’elle accorde à la musicalité, sur laquelle l’article de Victoria Famin concernant Instruments des ténèbres (ci-dessous) insiste. Cette sensibilité musicale s’exprime à travers la référence directe à la musique mais également à travers une certaine musicalité poétique : « il est clair qu’elle n’est amarrée à rien, il s’agit de la ramener vers la rive des humains par la voix, par la musique de la voix, comme il aurait fallu le faire pour Lys[6] ».

La question de la maternité et de l’accouchement, thèmes récurrents que l’on retrouve dans de nombreuses œuvres de Nancy Huston (Instruments des ténèbres, L’Empreinte de l’Ange, La Virevolte, …) ne bénéficient pour autant pas du même traitement que dans La Virevolte où comme le montre Sandrine Meslet (article ci-dessous) la maternité est une douleur et une aliénation. Cette autre vision, portée ici par le personnage principal qu’est Mme Armande, n’annule en rien celle envisagée dans La Virevolte mais la complexifie.

 



[1] Nancy Huston, Valérie Winckler, Visages de l’aube, Actes sud/Léméac, coll. "Archives privées", Arles, 2001, p. 12-13.

[2] Ibid., p. 46.

[3] Ibid., p. 39.

[4] Ibid., p. 43-44.

[5] Ibid., p. 13.

[6] Ibid., p. 35.

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9 octobre 2007 2 09 /10 /octobre /2007 00:05

Comment faire vibrer les cordes du texte 
par Victoria Famin



 

insturments-des-t--n--bres.jpgEn 1996, Instruments des ténèbres[1] a valu à Nancy Huston le prix Goncourt des lycéens et le prix du Livre Inter 1997. Il s’agit d’un roman très riche et complexe, qui s’intègre à l’œuvre de l’écrivaine canadienne réaffirmant une écriture réflexive. La quête littéraire n’est pas un élément secondaire dans le roman. Bien au contraire, elle se place au cœur du texte pour devenir sa matière.

Dans ce roman l’auteur nous présente deux récits parallèles d’un même personnage, lui aussi écrivain. Nadia, qui prend le pseudonyme de « Nada », (rien), expose au lecteur son manuscrit de « Sonate de la Résurrection », projet qui raconte l’histoire de Barbe, une jeune femme plongée dans la vie rurale de la France encore médiévale. Comme un contrepoint, le journal de Nadia retrace la vie de cet écrivain, ainsi que ses réflexions sur le travail d’écriture et sur sa conception de la littérature. L’alternance des deux écrits construit le roman dans un équilibre qui promène le lecteur entre le XVIème siècle français et les réflexions littéraires étroitement liées au monde intellectuel du XXème siècle.

Instruments des Ténèbres met en évidence un travail d’harmonisation entre les histoires. Ce mouvement oscillatoire qui va d’un récit à l’autre est intimement lié à la sensibilité musicale dont l’auteur fait preuve. Il n’est ainsi pas étonnant que Nancy Huston, étant elle-même musicienne, choisisse la figure de la scordatura pour définir son journal et le terme de « sonate » comme titre du manuscrit sur Barbe. La démarche musicale qui semble imprégner l’écriture de la romancière canadienne devient ainsi un des piliers de la composition du roman.

 

« Sonate de la Résurrection » ou la récupération d’une tradition orale

 

Nadia, cette romancière américaine qui assume le rôle du narrateur, propose au lecteur son dernier manuscrit. La « Sonate de la Résurrection » est un récit qui paraît évoluer avec le roman. En effet, les chapitres de l’histoire de Barbe sont présentés comme le reflet immédiat du travail d’écriture de Nadia.

Le roman de Nadia retrace la vie d’une jeune paysanne qui vit dans le monde rural de la France du XVIème siècle. Les péripéties de Barbe Durand et de son frère Barnabé lui permettent de découvrir et de partager avec le lecteur les misères et les souffrances de l’époque. Ainsi, le rôle de l’Eglise et la place de la femme dans ce contexte, le pouvoir despotique exercé par les hommes dans un milieu pauvre et arriéré sont quelques éléments évoqués par la romancière :

 

Elle [Barbe] grandit et les sales années se succèdent : la variole et le choléra fauchent les pauvres gens à tour de rôle, d’anciens soldats traversent le pays en pillant et en cassant tout ce qui leur tombe sous la main, grêles et pluies violentes saccagent leurs récoltes. Les gens se sentent écrasés, punis, maudits par ils ne savent quelle puissance et pour ils ne savent quel pêché, ils font ce qu’ils peuvent pour se protéger des fléaux qui leur tombent dessus et ils punissent à leur tour : les impuissants[2].

 

La peinture que Nadia propose de ce monde est profondément marquée par le regard moderne de l’écrivain du XXème siècle. Pouvant choisir de retracer la vie de Barbe ou celle de Barnabé, les jumeaux protagonistes de la Sonate, le personnage de Nadia préfère la vie tourmentée de la jeune femme. Le récit que la romancière en fait est également marqué par une position féministe qui permet à Nadia, ainsi qu’au lecteur, de revisiter ce XVIème siècle à la campagne.

L’écriture de ce récit suppose un travail de recherche historique et sociologique que le personnage de Nadia ne manque pas de consigner dans son carnet :

 

Je ne cessais de songer aux recettes de sorcières que je lis en bibliothèque. Celles de la célèbre empoisonneuse La Voisin, par exemple, décapitée pour avoir aidé Mme de Montespan à éliminer ses rivales et regagner les faveurs du Roi-Soleil[3].

 

Les recherches de l’auteur montrent un souci de vraisemblance qui va déterminer l’écriture de la Sonate. La construction de cette histoire fictive de Barbe Durand et de ses malheurs se veut ainsi ancrée dans une histoire et une tradition fortes dans l’imaginaire du lecteur. En ce sens, l’intérêt porté à la littérature de transmission orale n’est pas négligeable. Ainsi, à travers de l’histoire de Barbe, l’auteur récupère et replace dans la diachronie littéraire française les contes populaires :

 

 Elle [Barbe] rêve de lui. Elle rêve qu’ils se retrouvent et qu’ils vivent ensemble, les deux orphelins, comme dans l’histoire de Jeannot et Margot qu’elle a entendu raconter tant de fois, en cassant des noix ou en écossant des haricots pendant tant de veillées[4].

 

Dans la même démarche, Nadia reprend les contes collectés par Perrault et elle les met en relation avec le récit de Barbe. Cette comparaison lui permet de rendre aux histoires de Tom Pouce ou du Petit Poucet toute la gravité dont le récit de Barbe fait preuve. De cette façon, l’auteur tente de faire revenir les contes de la tradition orale française vers ce monde dur et cruel des origines, en abandonnant le domaine de la littérature enfantine.

 

 

Réflexion métalittéraire : dialogue avec le Témoin

 

La « Sonate de la Résurrection » évolue dans le texte accompagnée par le « Carnet Scordatura » qui recueille toutes les impressions, les sentiments et les réflexions d’un écrivain en pleine production littéraire. Cette sorte de journal intime retrace le double parcours de Nadia, qui d’une part remémore son enfance et sa jeunesse tandis que d’autre part elle définit et assume ses choix d’écriture.

Pour mener cette démarche introspective, Nadia évoque un interlocuteur : le Témoin. Il s’agit d’un « autre ‘je’, se tenant à une distance respectueuse et observatrice du premier, [qui] aurait la bienveillance et l’empathie nécessaires pour jouer le rôle du Témoin[5] ». Parfois assimilé au daimôn grec, parfois à l’Autre qui s’opposerait à Dieu, ce personnage permet d’établir le dialogue comme forme littéraire de la réflexion.

Ce Carnet Scordatura retrace ainsi les souvenirs d’enfance de Nadia, ses expériences amoureuses et les moments douloureux de sa vie. Mais la réflexion sur la littérature et sur l’écriture de sa Sonate définit ce journal intime. Nadia s’y interroge sur la littérature et les difficultés qu’elle rencontre dans son travail d’écrivain. C’est dans cette démarche que la  scordatura s’impose, pour devenir finalement la métaphore de l’écriture de Nancy Huston.

Nadia évoque dans son Carnet la figure de la scordatura, qui provient du domaine de la musique :

Au sens propre, scordatura veut dire discordance.[…] Beaucoup de compositeurs de la période baroque s’amusaient à tripoter l’accord des violes et des violons, montant d’un ton par-ci, baissant par-là, pour permettre au musicien de jouer des intervalles inhabituels[6].

 

L’altération dans la position des cordes d’un violon et la mélodie surprenante que cette manipulation pourrait produire sont évoquées par Nadia dans sa réflexion métalittéraire. En effet, la question de la linéarité du roman comme une forme de contrainte qui nuirait à la liberté dans l’écriture est analysée par la romancière :

 

Ce qui m’exaspère dans l’écriture c’est son caractère successif. Je ne parle pas de l’ordre chronologique (je suis évidemment libre de me servir des flashes-back si je le veux), mais du simple fait d’être obligée d’écrire l’histoire une phrase à la fois. […] Le roman est d’une linéarité enrageante[7].

 

Ainsi, les nombreuses analepses et prolepses que Nadia met en place ne peuvent pas altérer l’écriture du roman. Elles peuvent peut-être modifier la perception de linéarité et c’est justement dans le domaine de la perception que l’auteur cherchera à produire des nouveaux effets.

 

Histoires croisées : le dévoilement des cordes du texte

 

Le « Carnet Scordatura » et la « Sonate de la Résurrection » retracent des histoires autonomes, qui sont liées par la fictionnalisation des instances d’énonciation. Tandis que le Carnet évoque le présent de l’écriture, le moment de la production littéraire, la Sonate est présentée au lecteur comme le résultat de ce moment de création. L’architecture de Instruments des Ténèbres, en apparence subtilement équilibrée, montre une alternance régulière des deux histoires. La scordatura semble ainsi ne prendre que des dimensions très modérées. L’évolution du roman nous montre pourtant un entrecroisement des récits et une interpénétration des personnages qui met en échec l’effet de discordance. A mesure que l’écriture des textes avance, chaque manuscrit se fait solidaire de l’autre :

 

J’avais décidé de revenir aujourd’hui à Manhattan parce que je sentais que le pire était passé. Pour Barbe, et pour moi. Que j’arriverai à me débrouiller à partir de là[8].

 

Nadia s’identifie à Barbe, elle partage avec elle les douleurs de femmes, de mères. Grâce à cette démarche d’association avec son personnage, notre écrivain réussit à assumer son passé et à se libérer de la figure étouffante du Témoin.

L’entrecroisement des histoires ne se limite pas uniquement à l’identification de type psychologique entre les personnages. Les instances d’énonciation se confondent dans le texte pour se fusionner dans le seul niveau de l’écriture littéraire :

 

Longue conversation avec Stella. Je l’avais appelée parce que Hélène est malade et alitée dans le roman et… et… voilà, j’avais envie d’entendre sa voix. […] Je veux l’écrire ici et en avoir le cœur net : J’ai peur que Stella ne meure si je tue Hélène dans ma Sonate de la Résurrection. Ça a l’air insensé, mais c’est vrai. Et je n’oserais l’avouer à aucun être vivant[9].

 

L’effet de scordatura se dissout ainsi lentement, pour laisser sa place à l’entrecroisement des histoires dans la réflexion métalittéraire. Le désir de non-linéarité n’est ainsi pas satisfait, malgré les nombreux dispositifs mis en œuvre. Devant l’impossibilité de la scordatura, il ne reste à notre romancière que la possibilité d’exposer les cordes du texte. Le discours sur l’écriture littéraire serait ainsi une invitation adressée au lecteur. La mise en évidence des procédés d’écriture dévoile le placement des cordes qui constituent le roman. Au lecteur alors de faire vibrer ces cordes en toute liberté, à la recherche peut-être alors de la lecture d’une discordance musicale.

 

 

 

 

[1] HUSTON, Nancy. Instruments des Ténèbres, Actes Sud, Arles, 1996.

[2] Ibidem, p. 39.

[3] Ibidem, p. 225.

[4] Ibidem, p. 43.

[5] Ibidem, p. 141.

[6] Ibidem, p. 29.

[7] Ibidem, p. 50-51.

[8] Ibidem, p. 308.

[9] Ibidem, p. 310-311.

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8 octobre 2007 1 08 /10 /octobre /2007 23:58



« La seule vraie tristesse est dans l’absence de désir » Charles-Ferdinand Ramuz

 

 

Le lien que j'avais, petite, avec ma mère était un lien d'absence, exclusivement nourri d'imaginaire et d'évocations à travers ses lettres, ses mots. 

Nancy Huston

 illustration-la-virevolte.jpg

Nancy Huston publie La virevolte son cinquième roman en 1994 dont le sujet, délicat à bien des égards, est porté par un style s’inspirant librement de la prose poétique. Dès les premières pages du roman, le personnage de Lin apparaît à un moment clef de sa vie de femme puisque le lecteur assiste à l’intimité de son premier accouchement. Tout au long du récit nous avons accès de manière directe à ses pensées, à ses peurs, ainsi qu’à la lassitude qui envahit peu à peu son quotidien. La tentation de l’adultère fait partie de ses questionnements, mais plus largement la possibilité d’un adultère met l’accent sur la disparition de la sensualité dans la vie de Lin et son besoin de reconquête.

 

L’intimité du couple : entre dérives sensuelles et fausses appartenances

Le couple formé par Lin et Derek intrigue, leur intimité est ainsi décrite avec une grande précision peut-être afin de mieux en illustrer la disparition. Les scènes d’intimité lors de la naissance d’Angela, leur première fille, laissent place au vide et s’acheminent vers une petite mort à la naissance de leur seconde fille, Marina. L’enfant sépare les êtres incertains et le couple, en proie au doute, rend l’enfance de Marina coupable ; le conflit qui se noue autour de cette dernière illustre à lui seul le défaut de communication dans un couple et les petits arrangements à la semaine qui le conduisent à l’impasse. Nancy Huston perçoit avec acuité le malentendu du couple et de la maternité à travers la place accordée aux enfants et à leurs paroles. A l’ouverture du roman, le corps en souffrance expulse au dehors l’inconnu familier que le personnage de Lin peine à envisager et les saisons qui passent ne lui permettent pas de mieux appréhender cette maternité. La vie de couple, de femme et de mère ne remplissent plus sa vie. Il est bientôt l’heure de tracer un premier et bien maigre bilan d’où son seul véritable amour est exclu : la danse. Lin est une femme en qui sommeille un autre désir, que l’enfantement n’a pas vaincu, ce besoin incontournable de redécouvrir son corps et de le plier au destin de la danse. La virevolte se présente comme le roman de l’étouffement et de l’enfance non digérée, il est le long cri d’une femme muette, dont le naufrage ne semble pas visible même aux yeux de celui qui partage ses nuits. Cette solitude de la féminité rappelle les romans[1] de Simone de Beauvoir dans lesquelles des héroïnes tentent de trouver un sens à leur vie aux prises avec des contingences sociales qui les dépassent. Le personnage de Lin, lui, apparaît beaucoup plus libre en s’offrant une issue : la virevolte. 

 

Le corps absent

Un troisième accouchement est en gestation dans le roman et Lin le dévoile au moment de son départ, mais cette fois il s’analyse comme une reconquête du corps et non plus comme une perte. Lin se réapproprie son corps qui lui semblait autre, en devenir d’étrangeté, par l’intermédiaire de la danse, cruelle maîtresse, à laquelle il faut savoir tout sacrifier. Le corps de la mère disparaît aux yeux des fillettes mais il renaît pour Lin ; elle redécouvre son corps en s’éloignant de celles qu’ils l’ont emprisonné, bouleversé. Le personnage quitte une prison et sa démarche est d’ordre vital. Le traitement de la maternité sous l’angle de la déformation, de l’aliénation laissent entrevoir la complexité du devenir mère lorsque ressurgissent les traumatismes de l’enfance. Lin revit aussi son enfance à travers ses filles et elle s’enfuit pour ne pas avoir à la revivre et à se confronter à elle. Il est des départs qui ressemblent à des fuites. On regrette toutefois de voir le rythme du roman s’accélérer et se contenter d’esquisser l’existence de ses personnages en ne rendant pas compte, avec plus de précision, du bouleversement causé par le départ de Lin. La transmission mère-fille mise en péril prend un nouveau souffle lorsqu’Angela et Marina deviennent femmes à leur tour et que la première s’apprête à devenir mère. Cependant la question centrale du roman se concentre autour de la dialectique de l’abandon, Lin trahit ses filles en les abandonnant mais c’est aussi son propre corps qu’elle trahissait en restant. Il n’y avait donc ni d’issue possible, ni de choix heureux.

 

A nous de conclure que l’héroïne moderne reste prisonnière de son destin et doit renoncer à faire le bon choix étant donné qu’il n’existe pas, pas même dans les romans. Ainsi Lin rejoint les personnages beauvoiriens de Laurence et Monique, en proie à l’inconnu du destin et au peu de manœuvre qu’il laisse. Ne demeure que l’évidence de la souffrance et la  nécessité de changer sa situation quelles qu’en soient les conséquences.

 

 

 

 



[1] Simone de Beauvoir, Les Belles images, Gallimard, Paris, 1966

Simone de Beauvoir, La femme rompue, Gallimard, Paris, 1967

 
par Sandrine Meslet
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