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10 octobre 2007 3 10 /10 /octobre /2007 00:10

Nancy Huston & Valérie Winckler, Visages de l’aube 
par Circé Krouch Guilhem

 

 

Visages-de-l-aube.jpgVisages de l’aube est une œuvre double dans laquelle le littéraire et le photographique se répondent, se nourrissent l’un l’autre, apparaissent comme deux versants de la même histoire : celle de l’arrivée à la vie. Visages de l’aube est une œuvre très peu connue qui gagne véritablement à être lue, et qui met en valeur l’importance et la richesse du premier regard des nouveaux-nés, à la fois dans le texte de Nancy Huston, les photos et le court texte de Valérie Winckler. À ce titre, il est significatif de voir comment notre regard se métamorphose, s’aiguise à la lecture des photographies, après la lecture du texte.

L’acuité, la sensibilité visuelle analytique des deux auteurs sont mises en valeur dans le texte de Nancy Huston. Chaque description, chaque image ou représentation textuelle des bébés au moment de leur mise au monde par Mme Armande a son pendant photographique.

Nancy Huston choisit de mettre en scène une nuit de garde à la maternité de Mme Armande, sage-femme confirmée et toujours aussi émerveillée par la venue au monde de l’enfant, par son premier regard, mystérieux et intelligent. Cette dernière pense parallèlement à la formulation délicate d’une lettre destinée à son fils qui s’écrit au fil de cette quotidienneté nocturne, en lien ou en rupture avec elle : « Lys est morte. […] A tout prix Mme Armande doit trouver les mots velours les mots satin les mots fleurs parfum musique pour entourer cette phrase au moment où son fils la lira[1]. ». Le récit est une superposition de deux monologues intérieurs tous deux issus de Mme Armande : la lettre, distinguée typographiquement, mise en valeur par l’italique, est prise en charge exclusivement par Mme Armande, et le récit au départ principal de la nuit de Mme Armande à la maternité émane tantôt directement de Mme Armande tantôt du narrateur omniscient, les frontières sont floues. Cette complexité narrative ne rend pas pour autant difficile la lecture du texte : l’entrelacement des deux récits est fluide, le premier est nourri des morceaux de la lettre que Mme Armande rédige intérieurement pour son fils Robin. La lettre apparaît alors peu à peu comme le moteur de la saisie analytique, du moins intelligente de ce quotidien et de l’inscription dans la vie : elle annonce le suicide d’une jeune femme, Lys, qu’elle a été la première à avoir vue vivante mais également morte.

 

Ils me poursuivent ces jours-ci, mon chéri, les visages de la nuit. Tous ont le regard de Lys à la naissance : étonnamment sûr et souverain. Puis leurs traits se figent et se durcissent, se font accusateurs : ce sont de minuscules magistrats sans complaisance, leurs yeux nous transpercent et nous jugent… Ils ont raison ; on l’a trahie notre Lys, tous autant que nous sommes[2].

 

Plus encore que la venue au monde, qui devient alors un prétexte, la culpabilité est une thématique centrale du récit, elle est le fil directeur du récit et lie les deux textes qui le composent. Ce lien est explicitement mis en évidence vers la fin du récit dans sa lettre à Robin  par rapport à la mort de Lys qu’elle avait mise au monde dix-sept ans auparavant,: « J’aurais dû… j’aurais pu… on se le dit toujours après, quand c’est trop tard[3]. ». La culpabilité transparaît d’abord dans l’insistance de Mme Armande à poser la supériorité des nouveaux-nés sur les adultes. Tout au long du récit elle prie Dieu d’abord, puis les bébés de pardonner les adultes car « ils ne savent pas ce qu’ils font ». Cette culpabilité de plus en plus ressentie, elle tente de la soulager dans son travail quotidien, en accordant toujours une importance fondamentale au contexte humain et médical de chaque naissance, de chaque début de vie. Mme Armande très sensible, attentive à la réaction des parents vis-à-vis de l’enfant qui vient de naître et à leur manière d’être, adresse une prière intérieure pour chaque enfant.

 

S’ils savaient ce qui les attend, les pauvres petiots ! poursuit-elle tout bas, arrivant place d’Alésia et contemplant les clochards endormis sur les bouches d’aération près de l’église. L’alcoolisme, la pauvreté, les contraintes, les coups, l’école, les instituteurs méchants, les camarades méchants, la peur, les cauchemars, le froid, la guerre… peut être retourneraient-ils là d’où ils viennent […] Ils débarquent tous avec ce regard grave et sans illusions. Personne ne me convaincra du contraire. Ils naissent sachant[4].

 

Mais si la culpabilité est une thématique majeure, Mme Armande place son espoir dans la perfectibilité absolue de l’homme, et surtout dans celle de chacun. Elle se positionne ainsi contre un certain déterminisme, elle veut croire que le déterminisme n’est pas un facteur absolu. Et c’est ce qui nourrit son rapport complexe à la vie puisque la naissance reste profondément un miracle :

 

En trente ans, elle a mis au monde des milliers, non, des dizaines de milliers de bébés, toute une ville de bébés, un mini-Paris avec ses bourgeois et ses ouvriers, ses cadres et ses balayeurs des rues… […] elle n’est pas blasée, loin de là ; encore maintenant, elle vit chaque naissance comme un miracle[5].

 

Nous retrouvons dans cette œuvre de Nancy Huston l’importance qu’elle accorde à la musicalité, sur laquelle l’article de Victoria Famin concernant Instruments des ténèbres (ci-dessous) insiste. Cette sensibilité musicale s’exprime à travers la référence directe à la musique mais également à travers une certaine musicalité poétique : « il est clair qu’elle n’est amarrée à rien, il s’agit de la ramener vers la rive des humains par la voix, par la musique de la voix, comme il aurait fallu le faire pour Lys[6] ».

La question de la maternité et de l’accouchement, thèmes récurrents que l’on retrouve dans de nombreuses œuvres de Nancy Huston (Instruments des ténèbres, L’Empreinte de l’Ange, La Virevolte, …) ne bénéficient pour autant pas du même traitement que dans La Virevolte où comme le montre Sandrine Meslet (article ci-dessous) la maternité est une douleur et une aliénation. Cette autre vision, portée ici par le personnage principal qu’est Mme Armande, n’annule en rien celle envisagée dans La Virevolte mais la complexifie.

 



[1] Nancy Huston, Valérie Winckler, Visages de l’aube, Actes sud/Léméac, coll. "Archives privées", Arles, 2001, p. 12-13.

[2] Ibid., p. 46.

[3] Ibid., p. 39.

[4] Ibid., p. 43-44.

[5] Ibid., p. 13.

[6] Ibid., p. 35.

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