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22 avril 2008 2 22 /04 /avril /2008 11:18

 

Rencontre avec Linda Lê au Centre Georges Pompidou

 

Par Lama Serhan et Virginie Brinker

 

 

            Linda Lê est née au Vietnam en 1963. Elle a appris le français dès l’enfance, à Saïgon. C’est en 1977, deux ans après la guerre du Vietnam, qu’elle arrive en France, au Havre, puis à Paris. Elle est l’auteur de nombreux romans, dont Calomnies (1993), Les Trois Parques (1997), Voix (1998), Lettre Morte (1999), et d’un essai Tu écriras sur le bonheur. Nous avons choisi de vous présenter, dans la suite de ce dossier, deux de ses romans, Les Aubes (2000) et In memoriam (2007).

            Dans cette rencontre organisée au Centre Pompidou le lundi 7 avril 2008 dans le cadre du cycle « Ecrire, écrire, pourquoi », c’est sous forme d’entretien avec Michel Crépu, écrivain et rédacteur en chef de La Revue des Deux mondes, que Linda Lê dévoile quelques traits de sa poétique. Florilège.

 

Ecrire l’intime

«  Il y a dans l’exigence d’écrire un franchissement de l’effroi : effroi devant cette entreprise ou devant le fait d’affronter ses doubles littéraires, mais aussi ses propres démons ».

 « [Dans l’écriture], il y a toujours l’idée d’une confrontation à l’intime et en même temps d’une radicale ignorance [par rapport à cet intime] ».

« Le ‘soi-même’ est le point d’ancrage de l’histoire et, en même temps, écrire c’est sortir de soi-même ».

« L’écriture est une expérience de dépossession et en même temps de reconquête ».

« J’écris à partir de moi-même et au moment d’écrire je ne sais pas qui je suis ».

 

Ecriture cathartique / La tentation du silence

« J’ai toujours conçu l’écriture comme un exorcisme, une conjuration ».

« Il y a comme une ‘maladie d’écrire’ dont on attend une guérison par les mots (guérison par rapport à un deuil, à l’absence de l’autre, à l’absence de transcendance)… ».

« Ce qui me fascine, c’est la tentation du silence, comme si le silence parlait plus fort que ce que l’on pourrait trouver à dire ».

 

Sur l’ironie

L’ironie, et même l’auto-ironie, qui traverse Les Trois Parques est une forme de jubilation. La « férocité allègre » de ce roman l’a « libérée ».

A l’école de Cioran, elle dit avoir appris « cette ironie qui empêche toujours l’apitoiement sur soi ».

 

Autobiographie et fiction

Linda Lê refuse l’autobiographie. « Bien entendu des éléments de ma vie se retrouvent ça et là dans mes livres », mais elle a la volonté de « transmuer », de « ne pas livrer [sa] vie de façon brute ».

« Je crois au pouvoir de la fiction », « ce que [la fiction] permet c’est de ‘prendre distance avec soi’, de ‘prendre le large’, de voir des éléments de sa vie de très loin ».

« Il s’agit plus de transfiguration que d’imagination », « il s’agit de transfigurer des motifs qui seraient usés si l’on s’en tenait aux faits bruts ».

Elle s’insurge contre le « réalisme psychologique » qu’elle qualifie de « plaie ». « Mes personnages n’ont pas une dimension psychologique ». Elle revendique plutôt l’ « onirisme » de ses œuvres, s’inscrivant ainsi dans la filiation de Nerval.

 

Sur le style

« Le mot ‘forme’ me gêne car cela peut supposer l’idée de ‘fioriture’, de ‘fabrique’. Je n’aime pas beaucoup ces livres », « je préfère l’idée de corps à corps ».

« Si on ne s’attache qu’à la forme, est-ce qu’on ne tomberait pas dans le ‘verbalisme’ ? », on cesserait alors de croire au pouvoir démiurgique des mots ».

A propos de la citation de Barthes dans Le Plaisir du texte au sujet de Bataille, rappelée par  Michel Crépu : « Les textes les plus terribles comportent toujours une part de coquetterie », Linda Lê s’empresse de compléter : « s’ils veulent être lus ».

 

Sur le lecteur

Linda Lê dit à plusieurs reprises se méfier de « la tentation de séduire le lecteur », ce qui conduit, selon elle, à « édulcorer le terrible ».

« Je n’ai jamais écrit en songeant à un lecteur idéal ou non ».

« Les réactions du lecteur m’intéressent, mais à ce moment là, le livre ne m’appartient déjà plus ».

 

Sur la poésie

A la question, « y a-t-il une spécificité du poème ? », Linda Lê dit ne pas croire « du tout à la séparation des genres », à une « suprématie de la poésie sur le roman ».

« Je ne vois pas de frontières entre roman et poésie ».

Quand on parle de poésie, elle se méfie d’un « lyrisme un peu forcé ». « Il ne suffit pas d’invoquer quelques mots comme ‘éternité’ ou ‘la mort et sa faucheuse’ [pour qu’il y ait poésie] ».

« La poésie peut se définir quand il y a ‘insurrection des mots’, ‘court-circuit dans le langage’, quand le texte possède une ‘étrangeté’ ». « ‘Etrangeté’ qui est peut-être une définition de la poésie ».

 

« Vivre en étranger »

« Et pas seulement ‘être étranger’, vivre en étranger par rapport à un certain ordre, au monde tel qu’il est, à la langue même ».

Choisissant de lire une lettre de Marina Tsvétaïeva à Rilke datant de 1926, Linda Lê cite la poétesse russe : « Ecrire des poèmes, c’est déjà traduire », « Il n’y a pas de langue maternelle [quand on écrit] », « on ne dit pas un « poète français’, c’est ridicule », « la nationalité est forclusion ». Puis elle commente ces citations en ces termes :

« Ecrire de la poésie, c’est avoir la volonté d’être ailleurs », « Peut-être que c’est cela écrire, ‘être ailleurs’ », il n’est pas question d’ « évasion », mais d’être ailleurs « au sens où l’on est en rupture avec le monde ».

« Je crois que c’est un mot que j’ai toujours aimé, ‘rupture’, ‘être en rupture’, en rupture avec tout ».

 

 

 

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22 avril 2008 2 22 /04 /avril /2008 11:16

Analyse

 

La création dans Les Aubes de Linda Lê,

Aux sources de la tragédie et de l’identité

 

Par Virginie Brinker


 

La voix qui profère le roman est celle d’un jeune homme issu d’une famille bourgeoise qui a perdu la vue après un suicide manqué. Ce suicide était pour lui le moyen de rejoindre dans la mort Forever, une jeune femme de trente ans, anorexique, qui fut un temps la maîtresse de son père, et chez qui ses parents l’avaient envoyé se réfugier pendant un mois pour lui éviter leurs sempiternelles querelles de couple. En effet, Forever, Initiatrice et Muse du narrateur, s’était elle-même suicidée après le séjour du jeune homme. C’est à Vega, la jeune lectrice qu’il a embauchée et de laquelle il s’est épris, que le narrateur conte cette histoire d’amour et de mort que nous sommes invités à lire.

 

La mort comme œuvre d’art

Le père du narrateur est peintre. Mais son mariage avec l’héritière du Consortium, la mère du narrateur, a mis fin à sa vocation, son épouse qualifiant ses aspirations artistiques d’enfantillages. Le fils conçoit, dès le début de l’œuvre, son propre suicide comme une œuvre d’art, capable de racheter le reniement de son père :

 

Il y avait dans mon aspiration à la mort le besoin de restaurer la pureté, de dire mon dégoût, ma révolte devant l’abdication de mon père. Il avait renié la meilleure part de lui, l’amour de la beauté pour s’assurer le confort d’une vie où son âme ne pouvait s’épanouir que dans la fange [1].

 

A l’inverse, Forever, que le père a d’ailleurs abandonnée et fait avorter, apparaît comme l’antithèse de la compromission du père, et symbolise au contraire, un idéal de pureté. Elle représente la figure de l’inspiratrice et de l’art. Elle fait ainsi découvrir au narrateur les œuvres de la poétesse Sola et elles le marquent durablement puisque ce sont ces poèmes que Véga, la jeune lectrice, lui lit au cœur de leurs ébats amoureux. Or, Sola l’artiste, la figure tutélaire, apparaît comme une héroïne tragique, tour à tour comparée à Médée, Electre et Ondine (page 80). Il n’est donc pas inintéressant de noter que l’essence de l’art semble se situer dans le tragique, ce qui peut contribuer à expliquer la place de l’intertexte œdipien dans l’œuvre.

           

L’intertexte œdipien

La cécité du narrateur n’est pas sans rappeler la figure tragique d’Œdipe. Le narrateur se qualifie lui-même d’ « infirme », de « boiteux [2]», et se compare explicitement à Œdipe à la page 98[3]. Le texte ne cesse d’ailleurs de tisser des références au mythe des Labdacides[4]. Forever et la poétesse Sola sont ainsi comparées à la page 74 à « deux Antigones dressées en vain contre les vilenies de la vie et emmurées dans la même tombe ».

Forever apparaît, par ailleurs, comme un contrepoint de la mère du narrateur, en raison de leur rivalité vis-à-vis du père d’une part, mais aussi, de leur rapport à l’art, d’autre part. On apprend ainsi au début du chapitre III qu’elle est toujours « habillée de blanc », souvent comparée à un « cygne sauvage ». Il est question également de « sa silhouette immaculée ». On voit ici poindre une analogie avec la Vierge qui ne cesse de se développer, son anorexie lui conférant une sorte d’ « immatérialité[5] ». Forever apparaît donc comme « l’Initiatrice, la Mère, l’Amante interdite[6] », celle qui peut finalement enrayer la tragédie, contrairement à la mère-Jocaste du narrateur, dont le texte souligne la polysémique « voracité ».

Pourtant, Forever apparaît aussi comme une déesse de la fatalité, sorte de Parque, « sorcière fatidique qui nouait les fils des fins ultimes[7] » ou encore qui « avait renoué avec moi, l’enfant sénile, les fils des amours enfantines[8] » en ouvrant au narrateur la voie à l’art, au rêve et à la sagesse. La référence aux Parques est explicite dans le chapitre VII, où Forever, Sola et Vega sont ainsi qualifiées :

 

L’une, Forever, en illuminant mon enfance, la deuxième, Sola, en me faisant entrevoir ce qu’est une vie consacrée à la quête de la vérité, la troisième, toi, Vega, en me sauvant d’une existence engourdie par les drogues[9].

 

Mais ces trois Parques, sont qualifiées de divinités « bénéfiques » et très rapidement rapprochées des « trois Grâces » et une page plus loin de « Trois muses ». L’art pourrait donc, pour reprendre la formule de Malraux, constituer un anti-destin.

 

 

Les Aubes, tragédie de l’identité ?

Mais son essence n’en demeure pas moins tragique. La mise en scène, la théâtralité, la tragédie sont très présentes dans le roman, et souvent marquées du sceau de la fausseté. Les rares amis du narrateur « mim[ent] les doutes de Hamlet[10] » et l’arrivée de sa mère à l’hôpital après le suicide manqué du narrateur est relatée en ces termes : « Elle fit une arrivée en scène digne d’une tragédienne accomplie[11] ».

Il y a pourtant un rapport sincère entretenu par l’art avec la tragédie, via le mythe d’Œdipe, et ce rapport concerne la question de l’identité. En effet, si Œdipe tue son père et épouse sa mère, si sur lui s’abat ainsi la malédiction, c’est parce qu’il ne sait pas qui il est. A cet égard, le chapitre V qui introduit le personnage vietnamien de la grand-mère nous paraît tout à fait intéressant. En effet, on apprend par analepse comment en se mariant avec un colon elle arriva en France, mais aussi qu’elle peut représenter une nouvelle figure de Jocaste, la mère d’Œdipe, vu l’amour qu’elle voue à son fils :

 

Elle avait cessé depuis longtemps d’aimer son mari, même si elle le craignait encore. Elle avait reporté ses sentiments sur l’unique enfant que les dieux lui avaient accordé.

 

La grand-mère vietnamienne est enfin et surtout la gardienne des œuvres picturales du père, qui trônent chez elle, vu que la mère du narrateur ne veut point les voir. Elle est donc source de l’identité profonde. Et le père du narrateur se réfugie auprès d’elle pour retrouver sa vocation :

 

Il couche chez ma grand-mère, sur le divan aux ressorts usés qui l’a accueilli pendant les années de jeunesse et parfois rêve qu’il est de retour dans ce petit appartement : il s’affaire devant le chevalet, de ses doigts sort une peinture éclatante de vitalité[12].

 

Un rapport apaisé à la création et à la vie semble donc pouvoir exister, pourvu que l’on sache remonter aux sources de sa propre identité. Nous livrons ici sans doute une vision bien personnelle de ce roman de Linda Lê qui n’est pas sans nous rappeler A la Recherche du temps perdu de Proust, somme dans laquelle la grand-mère est une figure-source de l’identité mais aussi de la création artistique. Réminiscence que l’on peut retrouver jusque dans la structure des Aubes, puisque, comme dans Le Temps retrouvé[13], la dernière page met en abyme le geste créateur :

 

Vega, je rêve d’un livre dont je te dirais chaque jour des fragments que tu coucherais sur le papier. Je rêve d’un livre rempli du murmure des fantômes, un livre comme un hymne à la gloire de Forever, la très sainte, comme une déclaration d’amour fou faite à toi, la conjurée qui a ourdi mon bonheur. Je rêve d’un livre de deuil et de renaissance, de mort et de sensualité, un livre qui me sauverait de moi, que la pensée du suicide a toujours accompagné[14].




[1] Linda Lê, Les Aubes, Seuil, collection « Points », 2002, p. 21 [Christian Bourgois, 2000].

[2] Ibid., p. 83.

[3] “Quand, de loin en loin, je leur rends visite, guidé par Véga comme Œdipe s’appuyant sur sa fille vagabonde… »

[4] Les Labdacides, constituent, comme les Atrides (Agamemnon, Clytemnestre, Iphigénie, Egisthe, Electre, Oreste), un grand mythe de l’Antiquité, celui de la famille d’Œdipe, de ses parents, Laïos et Jocaste, et de ses enfants Antigone, Ismène, Etéocle et Polynice.

[5] Op. Cit. , p. 27-28.

[6] Ibid., p. 29.

[7] Ibid., p. 30.

[8] Ibid., p. 39.

[9] Ibid., p. 83.

[10] Ibid., p. 161.

[11] Ibid., p. 176.

[12] Ibid., p. 100.

[13] Titre du dernier ouvrage du cycle proustien.

[14] Op. Cit., p. 192.

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