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15 mai 2007 2 15 /05 /mai /2007 19:10
Ormerod, l’inclassable
Par Marine Piriou  
 
Ormerod.jpgŒuvre à la fois archipelique et cyclonique, Ormerod[1] est une création fragmentaire à la croisée des vents venus d’Afrique caressant les côtes insulaires de ce monde dans lequel se côtoient réalité et imaginaire. Malgré la tentative illusoire de l’éditeur de classifier ce livre dans la grande famille romanesque, il n’en demeure pas moins qu’Edouard Glissant rompt ici avec la notion de genre littéraire, transmuant le supposé roman en une totalité tourbillonnante composée notamment d’une multitude de télescopages spatio-temporels, de récits historiques, de réflexions philosophiques, de dialogues directs avec le lecteur, sans oublier un entremêlement d’ « éléments-ciments » telles que la fiction et l’art poétique.
La forme spiralée d’Ormerod en est d’ailleurs représentative. Selon la table des matières, l’œuvre se divise en effet en six parties respectivement intitulées « Deux prétextes », « Le Piton Flore », « Les Gros Mornes », « Orestile », « Annexes et Affluents », et « Datation ». De la faille originelle pré-textuelle on aboutit ainsi à une mise en relation générale via une suite d’enroulements non seulement historiques mais aussi « géopoétiques ». Cependant, la réalité structurale d’Ormerod semble plus complexe car fondée sur une imbrication de chapitres (titrés ou non) dont la densité fluctue de la goutte d’eau fragile au déferlement de l’océan vengeur. De surcroît, la syntaxe glissantienne elle-même épouse ce modèle oscillatoire puisqu’elle passe de l’écume au déchaînement lexical ponctué d’innombrables virgules, ondulation sémiotique rappelant sciemment l’image du mouvement infini des vagues embrassées par Éole. La circonvolution syntaxique et a fortiori structurelle d’Ormerod symbolise donc l’interpénétration de ces éléments naturels et féconds que sont entre autres l’air et l’eau comme si la fertilité de toute chose ou de tout être ne pouvait émaner que d’un « Chaos-monde » (p.325) primordial, d’une apocalypse révélatrice de l’invisible, du sens existentiel d’un Je en perpétuelle interaction avec autrui depuis les temps anciens « aux temps actuels et déjà futurs » (p.13). Les paroles prophétiques de l’écrivain en témoignent :
 
Bientôt, demain, un monstrueux raclement des plaques d’en dessous provoque – comme une écriture cassée concassée qui d’elle-même s’emporte et se meurtrit – l’apocalypse qui engloutit ces terres et submerge la mer elle-même, dans une furie d’eau sans dimension ni intention, et de vent sans direction. (p.16)
 
A travers la poétique de l’éclatement formel et essentiel, Glissant revêt donc l’habit du conteur qui, d’un cri – celui des origines - dit le monde dans sa globalité. La réminiscence quasi compulsive de l’histoire occultée de la Traite et de la Résistance marronne, la quête des mystérieuses traces constitutives du palimpseste de notre réel, et le refus de la racine unique au profit de la généalogie rhizomique désignent ainsi les quatre membres du corps textuel d’Ormerod. En effet, selon l’auteur, « quand nous dérivons d’un continent à un autre, déportés ou transbahutés, sur le chemin nous enfantons des archipels » (p.221). Glissant définit ici sa conception de la Relation au monde nécessairement intersubjective, médiatrice, et de ce fait garante du droit fondamental qu’est « la liberté de tous » (p.224), ce même droit dont ont été déchus les peuples du Sud au cours des cinq derniers siècles de domination occidentale.
En somme, Ormerod n’incarnerait-il pas la maïeutique glissantienne qui tend à dévoiler l’ensemble des maillons filiaux de l’humanité en devenir ? Page après page, l’écrivain égraine ainsi le chapelet matriciel, et pourtant inaperçu, des diversités de notre réalité, convaincu qu’ « il nous faut regarder partout alentour, dans les recoins des temps, soulever les forêts des Traces et les sables des Salines pour surprendre ce qui s’agite en dessous » (p.49) et appréhender la stratification interculturelle de notre présent. L’œuvre cyclonique se fait donc miroir de l’ambiguïté du rapport à l’autre au fil des âges, ambivalence de l’entre-deux source de passion mais dénuée de morale (cf. p.129). C’est d’ailleurs pourquoi Glissant a volontairement choisi de s’émanciper du carcan romanesque car, d’après ses propres termes, « l’histoire engendre son récit, qui l’entraîne à des profonds nouveaux, la langue du récit hésite au bord de ses obscurités » (p.95). La linéarité étant incapable de représenter la totalité vivante et mouvante du monde, l’auteur y substitue conséquemment et naturellement le mouvement spiralé de la « digenèse[2] », composition mosaïque dont la dimension dépasse celle de la littérature pour susciter en chacun « la révolution de l’esprit » (p.240), c’est-à-dire la prise de conscience de son passé et de ses conséquences actuelles, voire futures, via la quête de la trace et l’établissement d’un véritable dialogue transcontinental.
 
  

[1] Edouard GLISSANT, Ormerod, Paris, Ed. Gallimard, 2003. Toutes les citations extraites de ce livre seront suivies de leur numéro de page entre parenthèses.
[2] Alain MASCAROU, “Traite, traces, tresses: Edouard Glissant, historien des Batoutos”, dans Les Ecrivains francophones interprètes de l’Histoire : entre filiation et dissidence, dir. Beïda Chikhi et Marc Quaghebeur, P.I.E. Peter Lang S.A., Editions scientifiques internationales, Bruxelles, 2006.
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15 mai 2007 2 15 /05 /mai /2007 19:09

                                                          

Mémoire de l’Absent, espace de naissance
Par Ali Chibani

 

  

 

 

 

            Toutes tentatives de déculturation aboutissent à la naissance d’une nouvelle culture, d’un Nouveau Monde qui se dit et s’écrit de manière autre que celle à laquelle nous sommes habitués jusque-là et dont les prétentions sont, pour le moins, innovantes. C’est cela que Nabile Farès, écrivain né à Collo, en Algérie, en 1940 et actuellement enseignant à l’université Grenoble III, veut nous montrer dans sa trilogie intitulée La découverte du nouveau monde. Après Le Champs des Oliviers, portant sur l’histoire et, particulièrement, sur la guerre d’Algérie, Mémoire de l’Absent[1] « restitue par et dans le langage la cassure mentale et sociologique d’un monde en pleine destruction.[2] »

            Ce Nouveau Monde trouve son signifiant dans la forme inédite du récit qui dit l’Ancien Monde et les blessures qu’il induit. La page porte les rêves de l’auteur mais également ses infirmités. Tout est visible et reflété. La page est avant tout un miroir portant au-delà de l’image un sens en mesure de bouleverser le monde.

 

            Mémoire de l’Absent est le récit d’Abdenouar qui quitte le lycée d’Alger, pendant la guerre d’Algérie, pour partir en exil. Tout le long du récit, « l’Outre » revient tel un motif obsédant. Au commencement du récit se trouve l’arrachement à la terre natale, au « Clos-Salembier », l’exil dans la douleur des cœurs et dans la douleur des membres de la terre. « C’est ainsi. Les hommes vivent à un moment, lorsque le pays commence à avoir mal aux champs aux arbres aux montagnes aux rivières aux routes aux jours aux nuits aux arbres aux désirs, les hommes foutent le camp, partent dans tous les sens. » (p. 10). En remontant du fond de la terre, on arrive à « l’être » et à ses angoisses dans des lieux mal nommés, dans des « endroits mal nourris », où il n’y a pas de vie mais une « sous-vie » (p. 20). Mémoire de l’Absent est avant tout l’activité de la mémoire d’un déshérité qui parcourt, dans tous les sens possibles ou jusqu’à aujourd’hui impossibles, son histoire familiale : père enlevé et torturé, frère exilé, mère en larmes et partant en exil ; le combat et la mort de la Kahéna, le Nadhor – commencement de la généalogie dans Nedjma et Le Polygone étoilé de Kateb Yacine – et la guerre d’Algérie. Dans ce maelström de tragédies, un « je », tantôt surnommé le « Noir » tantôt « le Rouge », qui pénètre par « effraction » dans un autre monde et dans une autre littérature. Si les fins peuvent changer, les moyens, eux, sont toujours les mêmes : « Nous pénétrons par effraction dans cette ville, de la même manière que, voilà déjà quelque temps, nous avions dû tout aussi bien vivre par effraction dans notre première ville. » (p. 24). Il s’agit donc de lever l’interdiction d’être par le texte et dans le texte tout en la donnant à voir, de même que ses effets.

 

 

JEUX DE LANGUE. En fait, il s’agit de faire d’une pierre deux coups, en reconnaissant au texte une valeur double de transcripteur et de foreur, de nuit et de jour, de mort et de vie, pour que dans la rencontre des deux valeurs a priori antithétiques vienne la « sur-vie ». Tout cela est visible dans le nom du récitant Abdenouar : « … le mot double car tu disais cela est ton prénom “Abd-Nouar” Car tu es né sous deux signes, celui de ton esclavage et d’une lumière Ton nom ouvert en deux celui de la généalogie ou de l’histoire… » (p. 98). Abdenouar et, à travers lui, Nabile Farès, s’engage à retranscrire la « cassure » du monde et de l’être. Les phrases ne sont pas achevées, la ponctuation lève le camp et le récit est un polygone de récits. Le délire du narrateur est interrompu par la mémoire qui entre par effraction pour occuper l’espace textuel, avant que l’histoire, de manière tout à fait clandestine, fasse irruption pour rompre le fil de l’histoire. Chuchotements, murmures, cris, tout a son signifiant qui est une écriture en caractères italiques ou en majuscules. Mémoire de l’Absent n’est pas un écrit. Il est un « jeux de langue », un récit de vive voix, vivifiante bien que forcées par le temps à se faire entendre :

                                              

« Si Mahfoud, tu as déjà entendu parler de Si Mahfoud » Je N’AI JAMAIS ENTENDU PARLER DE SI MAHFOUD et je buvais l’eau de mes paroles de leur saloperie J’ÉTAIS NU nu NU HORREUR nu TOUTES LEURS SALOPERIES sur mon corps NU Dahmane tremblait. (p. 18)

 

Abdenouar n’est pas le seul récitant. Il y a également « Jidda », un personnage récurrent dans les contes berbères, et particulièrement kabyles. La Vieille, première figure fondatrice avant même celle de la Kahéna, vient ici comme une mémoire légendaire de l’Afrique du Nord, mais surtout de la première langue, perdue pour Abdenouar.

 Cet effort du Récitant, auquel s’ajoute ses dessins ou encore les deux récits en forme de deux blocs parallèles donnant la parole et son ombre, cet effort est accompli pour se dégager de ses hantises et pour ouvrir « l’énigme », obstacle aux avancées vers le Nouveau Monde :

                                              

                                               C’est ainsi

                                                                  :

                                                            j’ai beau courir

                                                                     mes jambes

                                                          sont prises

                                                                   dans la peau

                                                         de l’Outre. (p. 38)

 

L’Outre, métaphore de l’abondance, est aussi le premier signe témoin monté de la racine de l’arbre généalogique. Son ouverture fera – ne l’a-t-elle pas déjà fait ?– couler la vie. De même, les points d’interrogation envahissants, la parole suspendue avant sa fin, sont marques des infirmités causées par l’histoire, du vide de départ, mais aussi promesse d’une nouvelle naissance :

 

… ce qui m’intéresse moi dans l’écriture, c’est justement l’interrogation (…) qu’est-ce que vous feriez du point d’interrogation, du point de suspension, du point-virgule dans les textes ? C’est à partir de là et dans ce vide que se constitue ce quelque chose qui est porté par la lettre ou porté par différentes lettres. Pour autant qu’on peut écrire et pour autant qu’à remonter aux histoires de fondation, d’appartenance, quelque chose a eu lieu très tôt, très vite dans les ruptures. Si j’avais à me rapporter, comme ça, à l’histoire des ruptures, j’en trouverais plusieurs, pas qu’une. Par rapport à mon histoire, il y en aurait plusieurs et une très grande à mettre ensemble du temps même de l’occupation française. Je ne dirais pas la colonisation, mais l’occupation française, je l’appellerai comme ça maintenant.

En ce temps, il était très difficile d’avoir une mémoire et de la constituer et de se la constituer comme histoire. On était en butte chaque fois avec des mémoires différentes parce qu’on rencontrait des paysages différents, des langues différentes à chaque fois et tout le temps, tous les jours. La rue, l’école, la maison, le champ, la montagne, la colline, le ciel, les oiseaux, tout ça, tout le paysage était constitué de mots, d’histoires et de mémoires différentes. Et il y avait en plus des mémoires interdites, il y avait des histoires interdites, des mots que l’on ne prononçait pas à tel ou tel endroit. Je dis donc quelque chose de plus sûr en disant l’occupation, c’est ça la colonisation, ou la colonisation en Algérie. Cette longue occupation a engendré de très fortes différences qui se sont inscrites dans la géographie, le paysage, l’histoire, la mémoire, l’enfance, les noms. Tout ça a été terriblement touché.[3]

 

Nabile Farès[4], par sa nouvelle langue, constitue un nouveau paysage où l’être puisse habiter « Car il faut bien qu’existe, quelque part un lieu, où nous puissions être, en paroles, actes, et voyages ; à l’abri de toutes destruction. » (p. 176). En effet, en portant atteinte à la construction traditionnelle de l’œuvre littéraire écrite, il escompte, par un effet domino, aller au-delà du littéraire pour toucher le monde. Mémoire de l’Absent est composé des « … restes de la peau d’outre, langage premier d’une histoire en tout point semblable à la douleur d’un homme ou d’un enfant comprenant l’impossible lieu de sa naissance » (p. 217). Autre lieu, autre temps, tirant son origine de l’Outre qui, une fois ouverte, laisse se déverser un nouveau royaume où tout porte un nom.

  

                                                                                             

 

[1] Paris, Seuil, 1974.

[2] Op.cit., quatrième de page.

[3] Destinées voyageuses, « La Patrie, la France, le Monde », sous la dir. De Beïda Chikhi, Paris, coll. Lettres Francophones, édition de l’université de Paris-Sorbonne, 2006, p. 223.

[4] Voir également :  http://www.limag.refer.org/Textes/Iti10/Nabile%20FARES.htm

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