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15 novembre 2006 3 15 /11 /novembre /2006 16:46

Suburban Blues ou le chant d’une « lieuebannie »

  
 

Si nous nous limitions aux informations données par la quatrième de couverture de Suburban Blues[1] de Georges Yémy, nous nous cantonnerions à l’idée fort restrictive qui résume ce livre à un simple « roman dont la trame se déroule dans une certaine banlieue […] ». Or, les quatorze chapitres de cette histoire forment une composition artistique totale, mêlant à la fois les expressions lyriques et poétiques, les descriptions romanesques, les mises en scène et dialogues théâtraux, ainsi qu’une ondulation rythmique propre à une musicalité reggae, voire « slam ». A l’image de l’œuvre fragmentaire de Kateb Yacine, Suburban Blues nous révèle donc, page après page, un genre unique car pluriel. L’hybridité de ce texte apparaît même dans la richesse de sa langue que nous devrions d’ailleurs nommer « plurilangue » au vu de la multiplicité de son verbe inspiré notamment de l’anglo-saxon, d’une langue africaine appelée le yakalak, de l’originalité linguistique des banlieusards, et de la poésie rimbaldienne et baudelairienne. En érigeant une telle mosaïque d’écritures, Yémy a ainsi voulu dévoiler une totalité existentielle par le truchement du récit du parcours initiatique d’un personnage principal, qui plus est autobiographique, parti à la recherche de son identité et d’une plénitude de soi au cœur d’un univers dichotomique divisé entre rêve et réalité, amour et violence, Eros et Thanatos.

Ligne directrice de Suburban Blues, la quête de « l’Onirium[2] » constitue la raison de vivre du narrateur-personnage meurtri par des années noires, fruits de trahisons tant fraternelle que maternelle, de clandestinité et de discriminations. Accéder à « l’autre côté du cerveau[3] » devient en effet une nécessité vitale pour ce perpétuel expatrié, ce « Fils de l’Ailleurs[4] », qui aspire à « s’auto-démasquer », à découvrir son véritable Moi intérieur via un exil onirique au cœur de « La Plaine[5] » située dans l’entre-deux mondes urbain et suburbain parisien. Guidé par l’Esprit supérieur de Män, le personnage quasi-christique traverse alors une multitude d’épreuves existentielles, toutes plus difficiles les unes que les autres, à la manière d’un pèlerin marchant vers la Lumière divine et salvatrice. C’est pourquoi cette œuvre syncrétique pourrait répondre au nom d’apocalypse dans le sens étymologique du terme. A partir de la description d’une humanité plongée dans le chaos et la sauvagerie, elle dépeint la renaissance d’un être marqué par la souffrance mais sorti victorieux des pièges cruels de l’existence. Le dénouement du Livre de Yémy illustre par conséquent l’apogée du narrateur-personnage, « l’Antémaître[6] », mirant au côté de Män l’aube croissante et révélatrice d’un monde nouveau, celui de l’Onirium.

Bien que l’écoute de « La Voix[7] » de cet Esprit sacré soit déterminante dans l’émancipation du Moi de « l’Espylacopa[8] », celle-ci n’aurait cependant pu se réaliser sans les nombreux actes d’amour qui ont conduit cet homme à se laisser envoûter par la sensualité de diverses figures féminines appartenant à la fois à l’Imaginaire onirique et à la réalité spatio-temporelle de notre contemporanéité. La peinture poétique de ces scènes charnelles, métaphores de la fertilité et de la renaissance recherchées, rompt d’ailleurs avec la dureté du décor suburbain, lieu banni que l’auteur féminise dans son texte en le désignant subtilement par le néologisme « lieuebannie ». L’entrelacement des corps permet ainsi de déceler le premier échappatoire à la barbarie généralisée du quotidien en ces « finistères ». A travers l’exposition de la beauté de ce mélange fécond du féminin et du masculin, Yémy en appelle donc au métissage culturel, seul garant de la survie de l’homme, de sa résurrection, dans ce contexte d’évanescence et de fracture sociales. En somme, la fusion filiale entre les peuples et l’acceptation de son corollaire, à savoir la pluralité identitaire semblent, pour l’écrivain, les conditions sine qua none au dépassement des antagonismes centre-périphérie, dominants-dominés, civilisés-barbares, contraires qui n’ont eu de cesse que d’emprisonner et de détruire la société française de l’intérieur. « Ne t’en fais pas, toi mon fils, mon père, mon frère et mon petit-fils à la fois[9] », nous confie Yémy de facto.

 

Suburban Blues sonne donc l’état d’urgence face à une France « janusienne », incapable non seulement de reconnaître sa propre identité métisse, mais aussi de dialoguer tel que l’entend Platon avec ses enfants « aux multiples visages[10] » et investis de mille et une cultures. A l’instar du Livre sacré, cette œuvre nous montre le chemin à suivre pour tenter de nous extraire de ce chaos destructeur dans lequel l’humanité toute entière paraît sombrer. Yémy prend ainsi les traits d’un prophète à jamais exilé en son Pays, naviguant d’une rive à l’autre de la Seine, entre son royaume fantasmagorique et un ici-bas désenchanté.

 

J’avance et mes pas racontent sur le sol mon histoire, laissant des traces et des signes, des empreintes, comme une écriture. Et mon écriture ressemble à ma vie, elle n’a pas d’autre règle que celle de réordonner le chaos selon ma propre cohérence, mes compétences et ma sagacité. Dans la cité ou bien ailleurs[11].


La parole et le chant de ce griot résonnent alors tel un hymne à la vie, au regain d’une communauté humaine aujourd’hui ancrée dans l’individualisme et le rejet de l’Autre. Par conséquent, ce texte nous paraît être de première importance à l’heure actuelle car il s’inscrit dans une démarche à la fois philosophique et civique en s’interrogeant sur les maux collectifs propres à notre temps et à notre société tout en essayant d’y remédier grâce à la puissance ironiquement homonymique et transcendante des mots.


Marine PIRIOU

[4] Ibid., p.273.

[5] Ibid., p.46.

[6] Ibid., p.36.
[7] Ibid., p.44.

[8] Ibid., p.14 ; écriture inversée d’Apocalypse et autre surnom du personnage principal.

[9] Ibid., p.269.

[10] Ibid., p.69.

[11] Ibid., p.140.

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