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8 juillet 2010 4 08 /07 /juillet /2010 01:37

Analyse

 

L'écriture pour prolonger le pinceau, la question du choix et de la  contrainte dans la correspondance française de Vincent Van Gogh

par Sandrine Meslet

 

Le talent n'est qu'une longue patience.

                                                                                                                                         Buffon

 

 

Un énigmatique passage au français

            Vincent Van Gogh, né le 30 mars 1853 à Groot-Zundert (Hollande), a écrit un peu plus de 650 lettres[1] à son frère Théodorus Van Gogh, dit Théo, au cours d'une période qui s'étend du mois d'août 1872 au mois de juillet 1890 date à laquelle le peintre se donne la mort. Cette correspondance a pour singularité d'avoir été écrite en néerlandais pour les deux premiers tiers et en français dans le dernier.

            Au lieu de s'opposer les deux parties de la correspondance s'annoncent et se prolongent. Si l'on considère la vie de cet artiste hors norme qui a passé les dernières années de sa vie en France, le passage au français ne surprend pas et s'accompagne même d'un questionnement constant sur l'art. En France, Vincent Van Gogh explore, approfondit, recherche, son originalité s'y déploie avec naturel et pudeur, loin du mythe, c'est un homme acculé, combatif, sans cesse en rupture qui brosse son portrait. Le jeu de pistes est saisissant car Vincent Van Gogh peint autant qu'il écrit, ses lettres tantôt angoissées, tantôt rassurantes disent la condition de l'artiste, les doutes et les incertitudes d'une sensibilité excessive qui déchire l'âme et égare l'esprit.

Seul aveuglement de sa vie, Vincent Van Gogh ne réalisera jamais qu'il a dépassé ses maîtres et fait basculer la peinture dans un mode pulsionnel, obsessionnel qui a ébranlé tout entier l'édifice esthétique du dix-neuvième siècle.

 

Les souffrances du jeune Vincent

    Van-Gogh        Lors de son premier séjour à Paris (mai 1875- mars 1876), Vincent Van Gogh s'imprègne de l'ambiance parisienne, il vient tout juste de quitter l'Angleterre et pense alors suivre les traces de son père en devenant pasteur. Pourtant, il y renonce après une tentative dans la province du Borinage (Belgique) à la suite de laquelle il décide de se consacrer au métier de peintre. Vincent Van Gogh assume et revendique son nouveau statut en se retirant de son milieu social, il fréquente alors les milieux paysan et ouvrier multipliant dessins et études. Lorsqu'il retourne à Paris en mars 1886 pour y rejoindre Théo Van Gogh, alors installé à Paris en tant que marchand de tableaux, Vincent Van Gogh adopte définitivement la langue française dans sa correspondance et en démontre sa parfaite maîtrise. Mais ce passage au français n'a rien d'étonnant à la lecture de la première partie de la correspondance, rédigée en néerlandais, où Vincent Van Gogh multiplie les citations et expressions de langue française.

            On trouve ainsi un lexique qui s'apparente à un registre soutenu comme impolie, hors de saison[2], Vincent Van Gogh est alors un admirateur de Jules Michelet qu'il cite au tout début de sa correspondance « Il n'y a pas de vieille femme[3]. » D'autres mots et expressions laissent entrevoir une inclination pour des lectures philosophiques à caractère religieux misères, passions physiques[4], une âme en peine, Dieu le sait[5], qu'il se plaît à citer pour mieux souligner la proximité intellectuelle avec Théo Van Gogh qui connaît lui aussi le français. Ce jeu est également une manière de créer une communauté d'esprit entre les deux frères qui ont reçu la même éducation et partagent la même culture.

            La correspondance en néerlandais s'achève par un questionnement théorique marqué par l'utilisation d'un vocabulaire modalisé sans arrière-pensée[6], raison d'être[7], l'art pour l'art[8], l'union fait la force[9] qui détermine aussi la volonté de Vincent Van Gogh de théoriser sa peinture. L'enthousiasme est de mise, il rêve d'une association d'artistes impressionnistes au sein de laquelle les artistes se soutiendraient les uns les autres. La conception de l'art que se fait Vincent Van Gogh est très influencée par les romanciers français, ses lectures le nourrissent et lui permettent de concevoir son métier de peintre de manière inédite. Ainsi la préface de Pierre de Jean, signée Guy de Maupassant, satisfait Vincent Van Gogh quant à la mission que se fixe le romancier, et plus largement l'artiste, concernant la place du réel et la question de la représentation dans le livre comme sur la toile. Maupassant y prône la grande liberté de l'artiste dont il faut comprendre l'intention autant que la création « Le talent provient de l'originalité, qui est une manière spéciale de penser, de voir, de comprendre, de juger. » C'est là une conception moderne et emplie d'optimisme dont Vincent Van Gogh a besoin pour se rassurer.

 

            Vincent échange des titres de livres avec son frère, il se montre cultivé et fin connaisseur de littérature française à travers ses choix de lecture. Il apprivoise le français à travers les grandes œuvres de la littérature et aux côtés de Jules Michelet, d'autres noms apparaissent comme ceux de Victor Hugo, de Guy de Maupassant ou encore d'Alphonse Daudet dont il admire le Tartarin de Tarascon. Mais, c'est Émile Zola, auquel deux peintures font allusion, qui apparaît comme l'un des plus importants.

            Ainsi deux natures mortes respectivement intitulées Nature morte : Bible ouverte[10] et Nature morte : Vase de lauriers roses et livres[11] représentent le roman La Joie de vivre. Dans le premier tableau, La Joie de vivre de Zola y figure au premier plan dans la lumière juste devant la Bible alors que, dans le second, le livre est posé près des fleurs sur un coin de table en pleine lumière. Chacun de tableaux est l'occasion pour le peintre de rappeler l'importance de la nouvelle génération qui cohabite au côté de l'ancienne et contribue à former des esprits. Vincent Van Gogh croit beaucoup en cette nouvelle génération, il est fasciné par les changements sociaux qui interviennent au dix-neuvième et se passionne pour l'effervescence qui touche tous les domaines de l'art. La longue citation du Germinal[12] de Zola prouve encore une fois l'intérêt que le peintre porte à la représentation des ouvriers dont le travail est enfin reconnu et célébré.

 

Le style Van Gogh : un homme, une crise

        Crise de l'âme, crise de la sensibilité, la vie de Vincent Van Gogh est liée à la solitude et à l'isolement, chose qui constitue un paradoxe quant on songe à la volonté du peintre de vivre et de créer au milieu d'autres artistes. Mais Vincent Van Gogh ne sait pas vivre avec les autres, il dévore par ses doutes, inquiète par son instabilité et sa fougue. La collaboration avec Paul Gauguin, qui séjourne à Arles d'octobre à décembre 1888, s'achève d'ailleurs avec la première crise du peintre. Vincent Van Gogh se cherche, se perd, s'oublie entre Arles et Saint-Rémy sans jamais se départir de sa lucidité. Sa peinture trouve sa légitimité et se complexifie en pays arlésien, le style se précise à travers l'étude de la couleur. Vincent Van Gogh ne se disperse pas et ne cesse de travailler, cette ténacité lui permet de survivre à l'internement qu'il a lui même demandé. Le drame de la maladie ne fait pas basculer son art dans un état de transe éperdue mais intensifie son travail. Vincent Van Gogh veut continuer à peindre, il lutte contre la maladie en peignant avec frénésie entre les crises. Ses lettres ne sont jamais celles d'un fou car ce dernier veut coller au plus près à sa condition de malade. Il la surmonte pour ne pas inquiéter Théo Van Gogh, qu'il n'a de cesse de protéger, Théo, le frère, le mécène, le protecteur, l'ami, l'autre soi. La mise à distance que lui offre l'écriture vient compléter celle proposée par de nombreux autoportraits. Comme dans ses portraits, il décentre, laisse une large part au fond qui redessine ou éclaire les contours d'un visage amaigri, intense, vibrant. L'autoportrait est une mise à distance de la maladie, pour certes mieux l'appréhender, mais aussi pour rassurer Théo Van Gogh et pallier la distance qui sépare les deux frères. A la fois humble et colérique, injuste mais toujours vrai, Vincent Van Gogh cherche des mots pour dire son mal être :

 

                        Moi — je me sens passer l'envie de mariage et d'enfants et à des moments je suis assez

                       mélancolique d'être comme ça à 35 ans lorsque je devrais me sentir tout autrement.

                        Et j'en veux parfois à cette sale peinture.

                        C'est Richepin qui a dit quelque part :

                                   l'amour de l'art fait perdre l'amour vrai.

                        Je trouve cela terriblement juste, mais à l'encontre de cela, l'amour vrai dégoûte de l'art[13].

 

La peinture est exclusive et omniprésente dans la vie du peintre, elle devient dans cet extrait une mauvaise fréquentation, une muse déchue comme le souligne l'adjectif sale. Elle substitue l'amour de l'art à l'amour vrai par le biais d'une étrange alchimie qui subit un nouveau renversement dans lequel l'amour vrai est lui même déchu puisqu'il dégoûte de l'art. Le dégoût met l'accent sur l'absence d'issue et d'alternative, la peinture est une muse jalouse pour laquelle devenir artiste se résume à renoncer à l'amour vrai et impose pour loi une attention de chaque instant « Enfin, mon excuse bien maigre est que la peinture rétrécit les idées pour le reste, peut-être on ne peut pas être à son métier et penser au reste en même temps[14]

            L'étude des maîtres entamée en Hollande à travers les copies de tableaux de maîtres aident le jeune Vincent à se forger une connaissance des techniques et savoir-faire des plus grands peintres. Il conservera toute sa vie durant cette posture d'élève et ne consentira jamais, jusqu'à l'aveuglement, à se reconnaître une légitimité. Le parrainage des peintres comme Mauve et Weissenbruch, ou encore la fréquentation de l'atelier Cormon à Paris en avril et mai 1886, où il rencontre les peintres Bernard, Russell et Toulouse-Lautrec, lui permettent d'approfondir sa connaissance de la peinture et d'améliorer sa technique. Grâce à Théo, il fait connaissance avec Manet, Renoir, Sisley, Pissarro, Degas, Signac et Seurat et prend fait et cause pour l'impressionnisme. Pourtant Vincent Van Gogh a bel et bien dépassé les limites de l'impressionnisme en y apportant les éléments d'un modernisme exacerbé qui annoncent Matisse et Picasso.

 

Mort du peintre, naissance d'un mythe

            Une technique et un visuel inédit se déploient dans l'œuvre de Vincent Van Gogh qui mettent l'accent sur la texture et le pinceau, il y a chez lui la volonté de ne jamais gommer le travail de la peinture, de ne pas l'effacer au profit de la représentation. À travers ses lettres, Vincent Van Gogh évoque sa peinture entre hésitations et tâtonnements, il semble enfin se trouver dans l'écriture où il présente son projet artistique en évoquant sa force créatrice :

 

Je peux très bien m'en tirer dans la vie et dans la peinture sans le Bon Dieu, mais par contre, je ne peux pas m'en tirer, moi, être souffrant, sans quelque chose qui soit plus grand que moi, qui est toute ma vie – la force créatrice... Je voudrais peindre des hommes et des femmes dotés de cet aspect d'éternel dont le symbole était autrefois l'auréole et que nous essayons d'exprimer par le rayonnement et les vibrations frémissantes de nos couleurs... Exprimer l'amour d'un couple par l'alliance de deux couleurs complémentaires, par leur mélange et leur contraste, par la vibration mystérieuse des tons se rapprochant. Exprimer le spirituel sur un front grâce au rayonnement d'un ton clair sur un fond obscur. Exprimer l'espoir par une étoile. La passion d'un être par un coucher de soleil éclatant.

 

Se dépasser, en s'oubliant en tant qu'individu maladif et souffrant, et ne garder à l'esprit qu'un idéal pictural qui réside autant dans la transfiguration mystique que dans la métempsychose formelle, voilà sans doute une des missions que s'était fixé Vincent Van Gogh, lui qui peint les êtres et les espaces afin d'en faire ressortir le caractère idyllique, éternel, à l'abri des ravages du temps.



[1] Vincent Van Gogh, Lettres à Théo, Paris, L'Imaginaire, Gallimard, 1988, 566 p.

[2] Lettre n°157 datée du 12/11/1880, p. 132-133.

[3] Lettre n°16, p. 26.

[4] Lettre n°157 datée du 12/11/1880, p.132-133.

[5] Lettre n°156, p. 130.

[6] Lettre n°312, p. 280.

[7] Lettre n°388, p. 332.

[8] Lettre n°448, p. 342.

[9] Lettre n°451, p. 345.

[10] Nuenen, octobre 1885, Huile sur toile, 65×78 cm, Amsterdam, Van Gogh Museum.

[11] Arles, août 1888, Huile sur toile, 60×73, New York, Metropolitan Museum of Art.

[12] Lettres n° 409-410, p .333.

[13] Op. cit., p.352.

[14] Lettre n°586, p. 486.

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