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4 février 2010 4 04 /02 /février /2010 00:47

Mémoire, rêve et imagination dans

Il n’y a pas d’os dans la langue de Nourredine Saadi

Par Victoria Famin
 

 

Nourredine_saadi_il_ny_a_pas_dos_dans_la_langue.jpgAyant vécu l’expérience de l’exil, Nourredine Saadi décide de nous livrer sa prose poétique pour assembler la mosaïque de ses souvenirs et de sa mémoire imaginée d’un Maghreb lointain.

Algérien d’origine mais installé dans le Nord de la France depuis plusieurs années, cet auteur a publié plusieurs romans parmi lesquels Dieu-le-fit (1996), La maison de lumière (2000) et La nuit des origines (2005). En 2008 Nourredine Saadi nous propose Il n’y a pas d’os dans la langue, un recueil de nouvelles paru chez les éditions de l’Aube. Dans cet ouvrage, il combine la mémoire d’un peuple avec ses souvenirs personnels, tout en laissant une place centrale à la création d’une fiction littéraire.

Les treize  récits qui composent le recueil sont encadrés par un texte qui fonctionne comme un prologue. Dans cette introduction, la parole du poète se fait entendre pour présenter un parcours de la mémoire et de l’écriture. Le narrateur en exil tire un pont entre l’Algérie des origines et les lieux du Maghreb, et la France comme terre de l’exil. Le vieil homme éloigné de l’espace de l’enfance et de la jeunesse décide d’assumer ses souvenirs qui le hantent et qui s’emparent de sa langue et de sa plume. 

 

Il semble absent, perdu dans ses souvenirs comme dans un balcon d’éternité et parfois il murmure, on dirait qu’il se raconte à lui-même des histoires, des morceaux de mémoire qui le rattachent là-bas, des visages, des fantômes qui lui reviennent et, lorsque le souvenir s’embourbe ou s’évanouit, il invente des scènes, imagine le bleu lointain des cieux de son enfance…[1]

 

Des fragments de vécu, de mémoire et d’imagination s’entremêlent ainsi pour donner naissance à une écriture du passé et du souvenir qui trouve son expression dans des histoires minimes. La narration de ces instants précieux parcourt les souvenirs d’enfance dans « Tu frances bien », la figure paternelle dans « La demeure du père », la vie familiale lointaine dans « Tala et Guilef, comme si… » ou encore l’histoire douloureuse du peuple algérien dans « Un homme nu ». Mais ce vagabondage dans les méandres de la mémoire met en évidence un rapport décomplexé avec l’écriture du passé, dans laquelle l’imagination et le rêve trouvent leur place. L’interaction de ces éléments donne une liberté profonde à la parole du poète et permet de montrer que dans la langue et dans la plume de Nourredine Saadi il n’y a pas d’os.

 

Mémoire des lieux, mémoire des corps

 

Les récits d’Il n’y a pas d’os dans la langue ramènent le lecteur au Maghreb de l’enfance et de la jeunesse. L’Algérie des origines est souvent évoquée depuis le lieu de l’exil pour introduire des souvenirs d’un temps révolu. Mais les lieux ne fonctionnent pas seulement comme le support d’un exercice de mémoire, ils sont des objets de mémoire à part entière, des éléments qui demandent à être remémorés.

« La demeure du père » suit le cheminement d’une femme qui se rend d’Alger à Tunis, dans un périple qui devrait lui permettre de retrouver la maison paternelle, lieu de fondation familiale par excellence :

 

Je me précipitai sur le heurtoir de la porte. Comme je le faisais enfant, pressée que l’on m’ouvre. Pourtant je savais que personne ne viendrait : la maison était inhabitée depuis longtemps[2].

 

L’enfance et la figure du père dominent ce récit d’un retour aux sources, mais la ville de Tunis semble retenir l’attention et la sensibilité de la voyageuse qui, en tant que narratrice, lui accorde une place centrale. Cette ville se construit comme souvenir entre le rêve et la réalité de la rencontre :

 

Face à moi, la médina de Tunis, blanchâtre, crayeuse, semblait flotter sur la mer ; et soudain à mes pieds, ou du moins entre les jambes, j’eus la sensation d’une vive blessure, un cierge – oui il me revient que c’était une de ces bougies décorées d’un serpent de papier argenté qu’on allumait devant le maqqam ou lors du Mouloud – me pénétrait lentement le corps. Et je fus brutalement réveillée par l’hôtesse annonçant « Tunis-Carthage »[3].

 

Les lieux qui semblent avoir marqué profondément les esprits demandent tous les efforts qu’un tel exercice de mémoire suppose. Pour ce faire, l’auteur n’hésite pas à retracer des visions oniriques qui mettent en relief le rôle des lieux dans la conception du passé.

De la même façon, les corps deviennent des espaces dans lesquels les histoires personnelles s’inscrivent, qu’elles rappellent une douleur supportée ou un moment de plaisir parfois salvateur :

 

Il se réfugie à l’intérieur de ses yeux. Des souvenirs heureux comme une apparition :

Halo de lune. Sirocco nocturne. Une nuit brûlante. Sa peau salée. Corps à corps, ondulantes dunes. Noyé en elle, navigant entre les algues affolées de ses cuisses…[4]

 

La mémoire composite que l’auteur nous expose dans chacun de ces récits multiplie ses sources aussi bien que ses objets. Les corps et les lieux font remonter à la surface de la conscience des événements et des périodes lointaines mais ils concentrent en même temps le désir de mémoire qui soutient la narration.

 

Le souvenir des peuples

 

La multiplicité des narrateurs qui prennent la parole pour évoquer une expérience personnelle qui remonte à une époque lointaine permet à l’auteur de faire entendre les porte-parole d’un peuple maghrébin qui est dépositaire d’une histoire pour le moins complexe. Ainsi, ces bribes de souvenir laissent transparaître un passé souvent très lourd qui encadre le vécu des personnages.

Dans « Tala et Guilef, comme si… », une promenade familiale en montagne enclenche la mémoire d’un peuple qui est marqué par les souffrances de la colonisation. La visite d’une grotte qui aurait été le théâtre d’une bataille pendant la guerre de Libération et la découverte de deux petits moineaux tombés du nid, fonctionnent comme le moteur pour l’exercice de mémoire du peuple :

 

Mais quel étrange et invisible fil m’a ramené à cette journée, à cette montagne, à ces deux oisillons à l’insolite présence ?  Ah ! oui, j’y suis : je lisais il y a quelques jours dans El Watan : « Massacre à Talaguilef. Les forces de l’ordre ont découvert hier les corps de deux bergers égorgés dans la grotte d’Amzil, haut lieu de la guerre de Libération. Sans doute l’œuvre du groupe islamique qui… »[5]

 

Comme dans un jeu de souvenirs enchâssés, Talaguilef et les moineaux rappellent une mémoire plus douloureuse, celle de la présence française en Algérie et des luttes pour l’indépendance de ce pays.

De la même manière, dans « Tu frances bien », le récit d’enfance apparaît intimement lié à l’image de la France, symbole pendant les années d’occupation coloniale de la Mère-Patrie pour les écoliers colonisés. Pourtant, ce souvenir introduit aussi le récit d’une rupture douloureuse, d’une prise de conscience de la situation de violence qui caractérise le lien avec l’Hexagone :

 

Un jour à l’aube, en février 1958 – il y a des dates qui ne s’oublient pas–, la France pénétra chez moi. Des chiens féroces aux langues en flammes. Des paras en béret bleu, aux yeux étrécis comme des meurtrières tant la haine durcissait leurs visages. […] C’est après, bien après, qu’on comprend ces choses-là : une enfance brusquement interrompue, inaccomplie, inachevée. Ah, la France de mon enfance ! Oublie-t-on jamais un premier amour déçu[6] ?

 

Dans l’écriture de Nourredine Saadi, les histoires minimes d’un quotidien passé ne se trouvent ni opposées ni dissociées de la mémoire d’un peuple, qui relève de la grande Histoire. L’auteur montre que ces aspects du souvenir restent solidaires car ils sont en réalité interdépendants.

 

L’imagination comme créatrice d’Histoire

 

Dans ce périple de la mémoire que Nourredine Saadi retrace avec son écriture poétique, l’imagination joue un rôle central : elle permet de créer et de recréer le passé. Plus qu’un témoin qui livre ses souvenirs par l’exercice littéraire, l’auteur se présente comme un acteur-créateur. Il assume la fiction de sa plume pour renouveler et enrichir sa conception du passé, la diversité de son vécu et par la même occasion, l’image de la terre des origines abandonnée par l’exil et les lieux parcourus dans des voyages plus au moins lointains.

Ainsi, dans « Vision de la tour de l’horloge de Beyrouth », le narrateur se souvient d’une visite à la capitale libanaise et de la découverte de la tour. Les souvenirs glissent alors dans son récit vers la place des Trois-Horloges de Bab el-Oued d’Alger et vers le musée de l’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds. Ce cheminement qui suit les caprices de la mémoire et les associations presque oniriques entre les lieux remémorés met en évidence la volonté de laisser l’imagination assumer son rôle de créatrice de la mémoire : « Il n’y a que la mémoire qui sauve de la guerre et du temps. Ou peut-être le rêve et l’imagination…[7] ».

 

Il n’y a pas d’os dans la langue poétique de Nourredine Saadi. Ce recueil de nouvelles ne laisse pas le moindre doute. Son écriture réussit à faire de l’exercice de mémoire une création littéraire dans laquelle souvenir, rêve et mémoire nourrissent ce passé personnel et multiple, entre les origines et l’exil.



[1] SAADI, Nourredine, Il n’y a pas d’os dans la langue, Editions de l’Aube, 2008, p.7.

[2] Ibidem, p.32-33.

[3] Ibidem, p.28.

[4] Ibidem, p.20.

[5] Ibidem, p.53.

[6] Ibidem, p.93.

[7] Ibidem, p.129.

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